Page:Revue des Deux Mondes - 1899 - tome 156.djvu/641

La bibliothèque libre.
Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

bourg lui-même, et de ses restes, encore jolis, de la Renaissance, de la Ligue et même de beaucoup plus loin ! Souvenirs, enfin, de la petite vie qu’on y mène, où l’on fait tant avec si peu, où l’on vit si bien sans rien, et qui a je ne sais quoi de si pâle, de si ancien, de si vieillot, de si doucement spectral ! Impression mélancolique de pays mort ou léthargique, mais enseveli dans le plus vert et le plus frais linceul où puisse dormir un pays, et si avenant, si pittoresque, si aimable dans la mort !

J’ai souvent visité Brantôme, et je m’y vois encore, un jour de comice, à la fin d’une de ces journées de septembre qui ressemblent à des journées de juillet. C’était le dimanche, on avait distribué les prix dans l’après-midi, des primes de cent sous et d’un écu, que de vieux et jeunes paysans étaient venus recevoir avec éblouissement, et les gens de la localité, môles à ceux de la campagne, couvraient la promenade du quai, où jouait l’orgue des chevaux de bois, quand je voyais venir tout à coup, dans la poussière et le soleil, un extraordinaire cavalier. C’était un vieillard rasé, coiffé d’un tricorne, habillé d’une robe retroussée sur ses genoux, avec de longues jambes qui pendaient dans un pantalon, et monté sur une bête qui semblait moitié cheval et moitié mulet. On avait, d’ailleurs, vite reconnu un prêtre, et c’était, en effet, le curé d’une paroisse voisine. A quatre ou cinq lieues de là, il avait une petite campagne, et s’en allait ainsi, tous les dimanches, une fois les offices finis, faire une visite à son domaine. Personne, bien entendu, ne songea, dans la foule, à s’étonner de ce cavalier. Il était trop du pays pour y surprendre, mais trop aussi pour ne pas m’en sembler comme le résumé vivant, et tout Brantôme est toujours resté pour moi dans ce vieux curé à cheval, son vieux tricorne poudreux, sa vieille soutane poussiéreuse, et son prodigieux bidet.


MAURICE TALMEYR.