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diversité de sa production, aucun siècle, assurément, ne pourrait rivaliser avec lui. Au lieu de l’abondance et de la diversité, si l’on ne regardait qu’à la qualité des œuvres, il soutiendrait encore la comparaison des plus fameux, et ni la France de Louis XIV, ni l’Angleterre d’Elisabeth, ni l’Italie des Médicis, ni ; dans l’antiquité, la Rome d’Auguste ou l’Athènes de Périclès n’ont connu de plus grands poètes que les Goethe et les Schiller, les Byron et les Shelley, les Lamartine et les Hugo. En ont-elles connu de plus parfaits, peut-être, ou de plus classiques : on veut dire de plus dignes de servir éternellement de modèles ? c’est une question ! Mais elles n’en ont pas connu de plus grands. Que dirons-nous encore de tant d’historiens et de tant de critiques ? Et enfin, si depuis cent ans le roman, dans nos « inventaires, » a remplacé l’épopée, — le roman des Walter Scott et des Dickens, des Balzac et des George Sand, des Tolstoï et des Dostoïevsky, — qui niera qu’il l’ait égalée plus d’une fois ? Mais, après l’abondance et la qualité des œuvres, s’attachera-t-on peut-être à ce qu’on en pourrait appeler la signification historique profonde ? Il faut convenir alors que, depuis l’époque de la plus lointaine Renaissance, aucun siècle n’aura vu s’opérer une transformation plus radicale de la notion même de l’œuvre littéraire, de son objet ou de sa destination, et conséquemment des moyens de la réaliser. Comment s’est accomplie cette transformation, c’est ce qu’on se propose ici de rechercher, et non pas de retracer un « tableau » de la littérature européenne au XIXe siècle, — ce qui demanderait tout un livre, et un gros livre, — mais de suivre et de dessiner la courbe de son évolution.


I.
LE MOUVEMENT DES IDÉES LITTÉRAIRES

J’ai dit : « Depuis l’époque de la plus lointaine Renaissance » et en effet, dans l’Europe entière, avec des moyens et sous des noms différens ou semblables, ce que la littérature de notre siècle a été tout d’abord, — et délibérément, résolument, de dessein principal et formé, — c’est une réaction contre cet idéal classique, dont les Pétrarque et les Boccace, « les premiers des modernes, » avaient jadis, en des temps très anciens, déterminé l’objet. Ce n’est pas ici le lieu de définir cet idéal, ni de rappeler