Page:Revue des Deux Mondes - 1899 - tome 156.djvu/652

La bibliothèque libre.
Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

Les progrès de la science eussent dû pourtant les éclairer, et non seulement la nature de ces progrès, mais la nature aussi des méthodes qui les avaient procurés. Ce que les progrès de la science avaient effectivement établi, c’est, en premier lieu, qu’il existe quelque chose en dehors de nous ; et c’est, en second lieu, que, si notre connaissance du monde est relative de la constitution de l’esprit humain, cette relativité ne peut ni ne doit s’entendre de l’individu, mais de l’espèce entière. Il y a des lois de l’esprit ; et peut-être la réalité se déforme-t-elle en s’y accommodant, mais la déformation est la même pour tous ; et, conséquemment, il y a un juge de la qualité de nos impressions, qui est la vérité scientifiquement démontrée. « Il faut donc disputer des goûts. » De deux impressions qui s’opposent ou qui se contrarient, non seulement on ne peut pas dire qu’elles s’équivalent, et que chacun de nous ait le droit de garder la sienne, mais il y en a forcément une de fausse et une de vraie. Laquelle est la fausse et laquelle est la vraie ? C’est ce qu’on ne peut pas toujours décider, et surtout lorsqu’il s’agit des plus délicates et des plus complexes, mais on peut espérer d’y réussir un jour. Tel est précisément l’objet de la critique, son objet final et suprême, qui la fuira d’ailleurs, qui reculera devant elle à mesure qu’elle en approchera, mais qui n’en est pas pour cela moins précis et moins déterminé. Nous ne saurons jamais non plus ce que c’est que la vie, ni ce que c’est que la matière, et cependant cela n’empêche ni la physiologie ni la physique d’être des sciences !

C’est ce que l’on comprit aux environs de 1840, — disons, pour être plus exact, entre 1840 et 1850 ou 1855, — et le naturalisme allait sortir de là. Car on en a donné bien des définitions, comme du romantisme, et qui toutes ou presque toutes, elles aussi, contiennent leur part de vérité, mais il y en a une de plus générale que les autres, et c’est celle qui le fait consister dans ce que l’on a nommé « la soumission de l’écrivain ou de l’artiste à son objet. » Le naturalisme est la représentation de la nature, et, pour apprendre à voir la nature, notre premier souci doit être de nous défendre de nous-mêmes. Il ne faut donc pas nous faire une originalité de notre impuissance, et si nous voyons mal, nous n’avons qu’à tâcher de mieux voir. L’observation et la réflexion nous ont été données pour cela. La première qualité qu’on exige d’une « représentation, » c’est d’être fidèle, et d’un « portrait, » c’est d’être ressemblant. Une discussion s’élève-t-elle sur la fidélité de