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la ressemblance ou sur la valeur de la représentation ? Qu’on fasse venir l’original ! Nous l’avons là, dans la nature, tout près de nous, et, comme qui dirait à la portée de notre main ou de notre voix. Et ne nous répondez pas avec le poète qui, de tous les romantiques, a mis de lui-même le plus dans son œuvre :


Le cœur humain de qui ? le cœur humain de quoi ?
Quand le diable y serait, j’ai mon cœur humain, moi !


La question est précisément de savoir si « vous avez un cœur humain, vous ; » et ce n’est pas vous qui la déciderez. Vous pouvez être un malade ; vous pouvez être un « anormal. » Et ce n’est pas nous non plus qui en jugerons, mais ce sera la vérité de la nature et de l’histoire. Qui croirait que la terre tourne, s’il n’en consultait que ses sens ; et, en fait, pendant combien de siècles les hommes n’en ont-ils rien cru ? Les juges de Galilée étaient des hommes qui s’imaginaient avoir « leur œil humain. »

Favorisées par les circonstances, et notamment par ce que l’on pourrait appeler l’échec de la politique romantique en 1848, propagées à la fois en France, en Angleterre et en Russie, — l’Allemagne et l’Italie étaient alors occupées d’autres soins, — par les philosophes, qu’elles réconciliaient avec le sens commun ; par les critiques, dont elles grandissaient le rôle en le précisant ; acceptées par les romanciers, un Tourguenef, une George Eliot, un Flaubert, qu’elles invitaient à étendre le champ de leur observation ; reçues enfin par les poètes eux-mêmes, tels qu’un Gautier ou un Leconte de Lisle, ces idées ne pouvaient manquer de triompher tôt ou tard de l’idéal romantique épuisé. Mais comme les raisons pour lesquelles on les avait accueillies n’étaient pas toujours les mêmes, — et que si, par exemple, un Flaubert n’était pas moins hostile à Musset que George Eliot à Byron, ce n’était pas tout à fait pour les mêmes motifs, — il se produisit dès l’origine une division parmi les naturalistes, une déviation de la doctrine ; et, en France, plus particulièrement, les progrès en furent arrêtés ou interrompus un moment par ceux de la doctrine de « l’art pour l’art. » C’était une théorie de peintre ; et, au fait, il ne semble pas que l’on puisse demander à un peintre autre chose que de bien peindre. Il n’y a point, à vrai dire, de « pensées » dans les Madones de Raphaël, ou dans les portraits de Rembrandt, et ce n’en sont pas moins de purs chefs-d’œuvre : j’entends ici des œuvres