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effectivement aucun caractère commun. Chacun d’eux a sa manière à lui de sentir la nature et l’histoire, d’en être « impressionné, » et chacun d’eux sa manière d’associer, de combiner ses impressions, de les traduire en ses vers selon la loi de son rythme intérieur. Ils n’ont pas d’ailleurs eu la même éducation, ni fait de la vie la même expérience. Elle a été dure à Leopardi, et dure, mais d’une autre manière, à Shelley ; elle a été plus douce à Lamartine et à Byron. L’un est surtout un « élégiaque, » et l’autre un « satirique. » Ils n’ont aimé ni les mêmes aspects de la nature, ni les mêmes aspects de l’humanité. Je les crois encore, comme écrivains, très inégaux entre eux, très différens surtout ; et, pour ne parler que de nos Français, il n’y a rien de commun, ou plutôt rien ne s’oppose davantage l’un à l’autre et ne contraste plus absolument que la fluidité naturelle de Lamartine et la dureté martelée d’Hugo. Leur rhétorique, non plus, n’est pas de la même école : les Méditations procèdent de Parny et de Chênedollé ; les Odes et Ballades de J.-B. Rousseau et de Lebrun. Mais leur poésie à tous est essentiellement subjective, donc personnelle. Elle l’est de parti pris autant que par nature ; et, quel que soit l’objet qu’ils imitent dans leurs vers, ce n’est pas lui qui les intéresse en lui, ni ce qu’il est en soi, mais les sensations qu’il éveille en eux. C’est ce qu’il faut dire également des romantiques allemands, de Novalis ou de Brentano, lesquels toutefois, — comme en Angleterre l’auteur de Lalla-Rookh, ou comme celui d’Eloa en France, — marquent pour ainsi dire le temps et préparent une transformation nouvelle du lyrisme.

Mais la transformation ne s’opérera pas avant que ceux qu’on pourrait appeler les enfans perdus de l’école se soient comme aventurés et fourvoyés

Jusqu’au fond désolé du gouffre intérieur.

Car, après tout, et dès qu’il écrit, on n’a pas vu d’homme qui ne se crût et qui ne fût en droit de se croire aussi intéressant qu’un autre : c’est l’événement qui en décide, et l’événement ici c’est l’œuvre. C’est donc pourquoi, entre 1830 et 1840, la littérature s’encombre de « confessions, » non seulement en vers, mais en prose, et, dans toutes les langues, d’ « aveux » qu’on ne demandait point, ou de « confidences » dont il y en a bien jusqu’à deux ou trois qui nous intéressent encore : ce sont celles que nous ont laissées Leopardi, Alfred de Musset, et Henri Heine. Le