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résumer, de choisir pour résumer, et en choisissant d’abstraire ou de généraliser. Il était donc tout naturel que l’émancipation de l’histoire fût à peu près contemporaine de celle de la poésie lyrique, et c’est aussi ce qui est arrivé. Si l’on a pu dire de Carlyle en Angleterre et de Michelet en France qu’ils étaient des « poètes en prose, » il n’y a pas eu là de hasard. On a pu également rapprocher le dessein de Leconte de Lisle, — en ses Poèmes barbares, — de celui d’Ernest Renan dans ses premiers écrits, ses Études d’histoire religieuse ou son Histoire comparée des langues sémitiques. Et que dirions-nous enfin, si nous le voulions, de tant d’Allemands et d’Italiens, pour qui le lyrisme et l’histoire, faisant fonction alternativement l’un de l’autre, n’ont tour à tour été : le lyrisme, qu’un moyen d’exalter le patriotisme unitaire ; et l’histoire, un prétexte à entretenir ou à fomenter le principe de cette exaltation.

Nous n’avons pas, dans cette étude, à caractériser les progrès de l’histoire au XIXe siècle, et d’autres que nous l’auront fait dans ce tableau d’Un siècle. Ils auront sans doute montré comment, d’une monotone et fastidieuse énumération de récits de batailles et d’analyses de traités de paix, entremêlée parfois de considérations philosophiques, l’acquisition d’un sens nouveau, celui de la diversité des époques, a premièrement transformé l’histoire en un art, dont la grande ambition, rivalisant avec celle de la peinture même, a été de nous rendre ce que l’on pourrait appeler la couleur et la physionomie des temps. Ils auront montré comment, à la lumière de l’identité de l’espèce humaine mieux et plus largement comprise, l’histoire du plus lointain passé, celle de la Grèce dans l’ouvrage monumental de Grote, ou celle de Rome dans l’Histoire de Mommsen, ou celle enfin d’Israël dans la dernière œuvre de Renan, s’était en quelque sorte éclairée des lueurs imprévues qu’y jette le spectacle des choses contemporaines. Et sans doute enfin ils auront montré comment, à la faveur de quels progrès de l’érudition, l’histoire générale s’était compliquée, mais enrichie aussi, de la contribution ou de l’apport des histoires particulières, — histoire des religions et histoire des langues, histoire des institutions et histoire des mœurs, histoire de la littérature et histoire de l’art, — pour ainsi devenir la vivante représentation des accroissemens ou des pertes de l’esprit humain, et de l’avancement ou du recul de la civilisation elle-même. Aussi bien n’est-ce pas seulement de la littérature