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part à la manifestation et elle n’a compromis que lui. Et lui-même n’en était peut-être pas aussi fier le lendemain qu’il avait paru l’être sur le moment. Cela se passait à Lille, assez loin de nous, dans un milieu spécial où le socialisme coule à pleins bords, comme on disait autrefois de la démocratie. Nous n’avons jamais cru, quant à nous, qu’il ne s’était agi là que d’un simple accident local : en tout cas, un accident du même genre s’est reproduit à Paris, le 19 novembre, avec cette aggravation que le gouvernement tout entier s’y est trouvé mêlé.

On célébrait sur la place de la Nation l’inauguration d’un monument élevé au Triomphe de la République par un artiste de talent, M. Dalou. C’est la Ville de Paris qui avait commandé le monument ; c’est elle qui donnait la fête ; elle y avait convié le Président de la République, les ministres, les Chambres, les grands corps de l’État, et même les conseils municipaux de province qui y ont envoyé de nombreux délégués. Une question s’est posée tout de suite, celle de savoir quels seraient les drapeaux et les emblèmes dont l’exhibition serait autorisée, et la Préfecture de police, obéissant à son premier mouvement qui était le bon, a rappelé les prescriptions qui interdisent tout autre drapeau que le drapeau tricolore. Mais la municipalité de Paris ne l’entendait pas ainsi, et, subissant peut-être elle-même la pression de sa clientèle, elle a exigé qu’on laissât au drapeau rouge la faculté de se produire. Cela n’avait pas eu lieu à Lille : le regret en avait été exprimé à M. Millerand, qui s’était tu. À Paris, le gouvernement a dû négocier, transiger, capituler, et, pour masquer sa soumission, il a exigé à son tour que les drapeaux rouges portassent une inscription, ce qui permettrait de les prendre pour des bannières. Ce moyen terme a été accepté, mais on s’est bien gardé de s’y tenir. La fête s’est divisée en deux actes : l’un officiel, qui a été à peu près ce qu’il devait être : l’autre, absolument anarchique et révolutionnaire. Dans le premier, on a prononcé les discours appropriés à ce genre de cérémonies ; on a entendu la Marseillaise et le Chant du Départ ; enfin il n’y a rien eu d’anormal à signaler. Mais il n’en a pas été de même du second. Il se composait d’un long défilé devant les tribunes. Le mouvement était à peine commencé que M. le Président de la République a vu arriver sur lui deux drapeaux, l’un rouge, celui des révolutionnaires, l’autre noir, celui des anarchistes. À la vérité, ils portaient des inscriptions. Celle du drapeau noir était ainsi conçue : « Les victimes des lois scélérates. » On appelle ainsi les lois qui ont été votées après la bombe jetée par Vaillant en pleine Chambre des députés et l’assassinat du président Carnot. Aussitôt M. Loubet s’est levé et s’est