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retiré, accompagné des ministres. Ce départ, qui était une protestation, a d’ailleurs mis tout le monde à l’aise ; le défilé des drapeaux rouges et noirs a continué ; la Marseillaise et le Chant du Départ ont été remplacés par la Carmagnole et l’Internationale ; pendant toute l’après-midi, pendant toute la soirée, les manifestations révolutionnaires se sont succédé. On ne criait plus que : Vive la sociale ! A bas les propriétaires ! Mort aux riches ! C’était la vraie fête de la Révolution, non pas de celle qui est faite, mais de celle qui reste à faire, et qui essayait son drapeau, ses chants, ses mots d’ordre, ses cris de guerre, sa force enfin, dont elle cherche à prendre conscience. Tout cela s’est passé à une extrémité de Paris, au bout du faubourg Saint-Antoine, en toute liberté et, certes, on a vu là défiler beaucoup d’associations de plus de vingt personnes, sur l’esprit et sur le but desquelles il était impossible de se tromper. Le nouveau projet de loi les autorisera, car les membres qui les composent ne font aucun de ces vœux qui sont contraires à l’ordre public : vœux de pauvreté, d’obéissance, ou de chasteté. C’est pour d’autres qu’il réserve ses foudres. M. Waldeck-Rousseau a été interpellé le lendemain à la Chambre par M. Alicot, témoin oculaire et attristé des événemens de la veille. Il a répondu que M. Alicot avait mal vu, mal compris, mal interprété la manifestation, et que le ministère, optimiste et confiant, s’était senti tout réconforté en dénombrant les forces sur lesquelles pouvait compter la République.

Nous n’avons rien à dire, car évidemment cela tourne à la manie. Au reste, M. Waldeck-Rousseau a conservé, ou peu s’en faut, sa majorité d’une centaine de voix : il en a pourtant perdu quelques-unes dont l’abandon a dû lui être sensible, s’il ne se contente pas de les compter et s’il les pèse. M. Millerand ne nous a pas dit s’il avait été satisfait de la manifestation de Lille ; nous savons désormais que M. Waldeck-Rousseau l’a été de celle de la place de la Nation. Il pense sans doute que les conspirateurs en seront intimidés, ce qui n’est pas bien utile pour le moment, puisqu’ils sont tous sous les verrous. A nos yeux, le fait est d’autant plus grave que cette extrême rigueur contre les uns jure avec cette extrême indulgence ou complaisance envers les autres. Nous marchons très vite : nous voilà arrivés au drapeau rouge, et au drapeau noir. Ce n’est, nous dit-on, qu’un morceau de drap au bout d’un bâton : sans doute ; il en est ainsi de tous les emblèmes ; ils n’ont d’importance que par ce qu’ils signifient ; mais la signification de ceux-ci n’est pas douteuse. Des lois jacobines à la Chambre, l’anarchie dans la rue : nous n’aurions pas cru que cinq mois de ministère, et surtout