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parfois son esprit jusqu’aux accidens du monde éphémère et me répondit :

— Les Japonais ? Peuh ! Ils s’agitent.

J’en sais à qui leur agitation donne mal aux nerfs. Ce sont les Anglais de Hongkong, et en général tous les Européens de l’Extrême-Orient. A mesure que j’approchais du terme de mon voyage, je n’étais pas médiocrement étonné de la furieuse antipathie que le nom seul des Japonais éveillait autour de moi. L’Anglo-Saxon manifestait à leur égard un peu plus de mépris qu’il n’a coutume d’en accorder au reste du monde. Le Russe hâtait de ses vœux l’heure bénie où l’ours moscovite se jetterait sur cette proie brillante et saugrenue. Les Espagnols des Philippines les reléguaient au dernier rang des nations civilisées. Et le Japon m’apparut à travers leurs discours comme une terre charmante, mais peuplée de singes malfaisans.

Et l’on me disait : « Prenez garde : défiez-vous des gentillesses de ces barbares. Ils sont passés maîtres dans l’art de piper leurs hôtes. Ils les amusent, les caressent, les cajolent, et les bernent. Vous ne trouverez en eux que beaucoup de babil et beaucoup de vanité. Ils s’imaginent que de se coiffer comme nous les élève à notre niveau ; ces Lilliputiens sont admirables ! Ils nous copient, et nous détestent ; et toute leur fourberie ne parvient pas encore à masquer toute leur haine. »

Malheureusement, mes interlocuteurs ajoutaient : « Regardez les Chinois : voilà d’honnêtes gens. Il y a plus de sérieux et de véritable intelligence dans un canton de la Chine que dans tout l’empire du Mikado. Leur orgueil est excessif, mais logique. Ils ne nous empruntent pas nos défroques pour s’égaler à nous ; ils ne pillent pas nos manuels de philosophie pour nous en jargonner des phrases mal comprises. Ils restent Chinois et font d’excellens domestiques, des cuisiniers et des boys incomparables. C’est un bien grand malheur qu’ils endurent les scandales et la routine de leurs mandarins corrompus. »

Et je pensais en moi-même : « Heureuse routine et plus heureuse corruption ! S’ils étaient moins à plaindre, ils seraient plus à craindre. Sans énergie civique, sans patriotisme, sans armée, comment ne nous inspireraient-ils pas une vive tendresse ? Oh ! le brave peuple qui nous laisse empiéter sur son territoire et nous abandonne les concessions de chemins de fer ! Donnons-nous le facile plaisir de railler la scolastique de ses lettrés et