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le tir à l’arc de ses militaires, et ne lui ménageons pas l’opium. Mais les Japonais, qui ne s’empoisonnent pas, qui manient les plus belles armes à feu de la civilisation, qui lisent nos livres et nos journaux, fortifient leurs rivages et tracent tout seuls leurs voies ferrées, ne sont et ne peuvent être que des singes. »

Un Espagnol m’affirma que, durant la guerre de Chine, ils avaient à plusieurs reprises plagié impudemment la hidalguia castillane ; et je sus, d’autre part, que, pendant la dernière peste de Hongkong, des médecins japonais étaient venus soigner les pestiférés et avaient poussé l’impertinence jusqu’à en mourir, non moins héroïquement que s’ils fussent nés en Europe, de race blanche et de parens chrétiens.

Au contraire, les métis des Philippines, les Tagals, les Malais, tous les Asiatiques épars sous la domination européenne, considéraient les Japonais du même œil que les cadets obscurs font d’un frère lointain, dont la gloire rejaillit sur eux. Volets et portes clos, ils épluchent son mérite et discutent sa valeur ; mais, dès qu’ils se mêlent aux étrangers, ils se réclament de leur parentage et attribuent à la qualité d’un sang commun la fortune exceptionnelle de leur aîné. L’entrée du Japon dans la politique internationale, ses progrès, l’affirmation de son indépendance ont été, pour ceux d’entre ces peuples qui savent réfléchir, une sorte de triomphe moral et d’intime réconfort. Cet exemple les a relevés à leurs propres yeux. Du jour où ils ont vu des gens comme eux, sortis de la même souche, et que l’infaillible Occident jugeait frappés des mêmes tares, s’emparer et se parer des avantages et des privilèges qui semblaient jusqu’ici réservés à leurs vainqueurs, ils ont ressenti à peu près ce qu’eussent éprouvé les soldats homériques, si leurs compagnons avaient tout à coup et sans effort coiffé le casque et revêtu l’armure de ces vastes dieux dont le poids faisait gémir l’essieu des chars. Ce spectacle les eût désabusés sur la vertu des armes divines ou rassurés sur la puissance de leurs bras. J’ai cru distinguer ces deux impressions mêlées et confondues dans l’âme des insurgés philippins qui me parlaient du Japon avec une espèce de fierté belliqueuse. L’appareil de notre civilisation les impressionne moins, depuis que les Japonais s’en décorent. Loin de nous féliciter de cette conquête pacifique, ils en tireraient plutôt des argumens contre nous et, pour eux-mêmes, un sujet de confiance et d’orgueil. Volontiers ils rêveraient d’un panasiatisme, où l’Extrême-Orient confédéré