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d’autres arts où elles sont fort expertes, chantent et s’accompagnent sur le shamisen, lequel, importé de Manille à la fin du XVIIe siècle, n’est qu’une variété de notre vieux rebec. Et je n’avais pas été sans m’apercevoir que les getas, ces socques où, en guise d’empeigne, de gros cordons, séparant l’orteil des autres doigts, retiennent des deux côtés les pieds emprisonnés dans des chaussettes fourchues, ont tantôt la forme de semelles mal dégrossies et tantôt celle de petits bancs. Les kimonos m’avaient frappé par leur ressemblance avec nos robes de chambre ; les hakamas me produisaient l’effet de jupes fendues ; et la coupe des haoris, vus de dos, me rappelait les sacs noirs dont jadis le tailleur du lycée nous affublait sous le nom de caban.

Et je savais encore bien des choses. Les Japonais disposent leurs livres à l’inverse des nôtres, et les lisent de droite à gauche en commençant par notre dernière page jusqu’au mot Fin, qui est imprimé sur la première. — Au sortir du bain, ils s’essuient avec une serviette mouillée. — Ils vous annoncent la mort de leurs parens ou de leurs enfans, le rire aux lèvres. — J’avais vu leurs charpentiers raboter, le rabot tourné vers eux ; et j’étais instruit de ce que leurs couturières, au lieu de faire courir l’aiguille dans l’étoffe, font courir l’étoffe sur l’aiguille immobile, alors que cette aiguille, décidément paradoxale, va chercher elle-même le fil, au rebours des nôtres qui se laissent enfiler. — La politesse, chez eux, consiste non à se découvrir, mais à se déchausser. — Ils s’appellent du même geste dont nous nous congédions. Que voilà un peuple extraordinaire ! Et quelle riche matière à mettre en petits jeux de société ! « Si vous étiez Japonais, comment ouvririez-vous un livre ? » — « Comme ces critiques qui n’en lisent que la table des matières. » — « Comment enfileriez-vous une aiguille ? » — « Je la promènerais tant et tant qu’elle ne pourrait manquer de rencontrer le fil. » — « Quelle marque de déférence donneriez-vous à votre hôte en pénétrant dans son logis ? » — « J’enlèverais mon chapeau… » — « Vous avez perdu. Un gage ! »

Ce gai savoir ne me contentait point. J’enviais les voyageurs que leurs premiers pas au Japon jetèrent dans une douce ivresse. L’un d’eux, au débarqué, remercia les divinités antiques de lui avoir rendu l’Hellade. Il vit de pauvres kurumayas au long buste, aux jambes grêles, courir sur le rivage, et se crut à Olympie. D’autres, moins férus d’illustres souvenirs, ne laissèrent point d’éprouver