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Page:Revue des Deux Mondes - 1899 - tome 156.djvu/792

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du Shinto, des geishas, des patrons d’auberge, et qui me semble à la fois aussi populaire que le Petit Journal et presque aussi combatif qu’une espèce de Lanterne, m’est d’un abord plus facile et m’introduit plus prestement dans le milieu grouillant de la foule japonaise. Les longs articles des feuilles sérieuses me paraissent souvent des rééditions affaiblies et comme une version incolore de certains journaux européens. J’en comprendrai mieux la portée quand j’aurai poussé plus avant dans la connaissance des questions politiques. Le Yorozu, lui, s’en va court vêtu ; il est vif, indiscret, tapageur ; il mène sa fronde ; il glisse des sous-entendus menaçans ; il déniche les scandales, les couve, les engraisse, et les lâche quand l’heure est venue. C’est un journal très civilisé, et dont l’abonnement coûte environ dix sous par mois.

Nous lisons d’abord les faits divers, et je constate que la vie de nos frères jaunes soulève chaque jour la même poussière de tristesse, d’ignorance et de vilenie que celle de mes frères blancs. Suicides d’amour, adultères, jalousies au couteau, folie meurtrière, beaucoup de vols, moins de crimes, et les éternelles histoires du jeune homme qui force la caisse paternelle pour entretenir sa maîtresse ; du faux noble qui dupe les boutiquiers ; du provincial crédule qui confie sa bourse au filou complaisant, et du détective qui, ayant induit des empreintes de pas laissées par le voleur qu’une de ses getas était ébréchée, surprend son homme à l’instant qu’il faisait raccommoder sa chaussure.

Les exploits des lutteurs, aussi célèbres que ceux des chevaux de course, ne nous retiennent pas encore, mais, avant de courir au feuilleton illustré, dont l’auteur nous ménage avec art les péripéties et l’intérêt croissant, nous jetons les yeux sur les entrefilets politiques. J’y apprends que le ministère viole la Constitution, et n’en suis point surpris. Si j’en juge à la mélancolie hargneuse du journaliste, partagée d’ailleurs par beaucoup de ses confrères, cette Constitution n’est pour les Japonais qu’une source intarissable de désenchantemens. Ecoutez plutôt : « Tout le monde s’est réjoui quand on l’a proclamée. On pavoisait et l’on dansait. Le peuple croyait entrer dans le Paradis bouddhiste. Dix ans à peine se sont passés et l’on s’aperçoit que rien n’a changé. Nous vivons toujours sous l’arbitraire et le despotisme. Le Parlement foulé aux pieds par les clans et les coteries, les Partis sont tombés en pleine corruption ou gisent engourdis de puissans narcotiques. » Le despotisme dont il s’agit ici n’a rien d’impérial. La Majesté de