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l’Empereur plane au-dessus des polémiques et le Yorozu lui-même n’oserait l’effleurer. Mais la bonne foi du petit-fils de la Déesse Soleil peut se laisser surprendre. Il n’est point d’omniscience, même divine, que de perfides conseillers ne se mettent en état de circonvenir. Le Souverain n’est jamais attaqué, sinon dans la personne de ceux qui s’intitulent ses organes. « Le Cabinet qui nous gouverne est une sorte de Cabinet fantôme. Il existe et n’existe pas. Quel est son vrai caractère, quel est son but ? On l’ignore. » Faut-il préciser ? Le Yorozu démasque : « Le ministre de l’Agriculture vient enfin de se révéler : il a commis une sottise. » — « Vous croyez le Président du Conseil occupé des soins du gouvernement ? Rassurez-vous ; il se porte bien, boit du saké et se divertit dans la société des geishas. » — « Nous avons trois ministres excellens : l’un aime les danseuses, l’autre les actions, le troisième les pots-de-vin. » On raconte en termes émus que l’un d’eux abandonna une enfant dont il était le père authentique et que cette fillette, élevée par sa mère, une geisha, s’est parée de son nom et va jouer du shamisen dans les restaurans. A quand la souscription pour cette innocente victime de la pleutrerie ministérielle ?… Le peuple japonais est vraiment un peuple extraordinaire…


Le 24 décembre, l’Empereur ouvrit la Diète. Je ne sais encore aujourd’hui si le ministère Matsukata s’était rendu coupable envers la Constitution des attentats qu’un certain nombre de journalistes, profitant de la liberté nouvelle qu’il avait octroyée à la presse, lui jetaient quotidiennement à la tête. Les uns affirmaient qu’il avait outrepassé ses droits, les autres qu’il avait le droit de les outrepasser ; d’autres, qu’il était resté dans les limites de ses attributions : habilement, disaient ceux-ci ; maladroitement, répliquaient ceux-là. Mais tous se montraient assez d’accord pour le renverser. La bataille devait s’engager sur les nouveaux impôts dont il menaçait la pauvreté japonaise. D’ailleurs, ce que l’on visait, à travers cette question de finances, c’était son crime d’avoir duré. Il avait contre lui les fonctionnaires destitués, les préfets disgraciés, l’ambition des anciens ministres dont les dents avaient repoussé, et l’indifférence de ses amis repus.

La Diète s’élève non loin du Palais, dans ce quartier européen des légations et des ministères, dont les constructions récentes et les grands espaces vides ressemblent presque au berceau d’une ville