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suis trompé et que je dois cesser de témoigner de la confiance, en m’ajoutant qu’on ne peut m’en dire davantage. C’est bien plus de la réticence que de l’avis que je me plains. Comment puis-je juger de ma position et me guider, si l’on ne m’éclaire pas ?

« Et d’ailleurs, en quoi ai-je été trompé ? Pourquoi ai-je à changer de manière d’être ? Pourquoi dois-je cesser de parler comme je l’ai fait ? Est-ce que mes paroles ont compromis quelque chose ? Quand et en quoi ai-je trop dit ? On m’a attribué ce que l’on m’avait au contraire dit à moi-même. Mais, qui est-ce qui est trompé là-dedans ? Il me semble que ce n’est pas moi. Je l’ai déjà dit du reste ; ce n’est pas le fond qui me blesse, mais la forme. Ma position devient chaque jour plus odieuse. Je joue le rôle le plus misérable qu’on puisse faire jouer à un ambassadeur, et il serait plus simple d’envoyer porter les dépêches qui attendent dans l’antichambre de lord Castlereagh ses réponses… Si l’on me veut humilier et déconsidérer, c’est trop de moitié, et je serai obligé, si les choses ne changent pas, de me jeter aux pieds du roi pour le prier de ne pas souffrir que l’homme qu’il a honoré de sa confiance soit ainsi traité. »

A la suite de ces explications, le roi qui d’abord avait donné tort à Decazes parut disposé à donner tort à Pasquier. « Les deux dernières pages de votre lettre m’ont affligé et, en même temps, m’ont, comme on dit, fait pousser les cornes à la tête : un veuf peut se servir de cette expression. Qui diable eût pu croire qu’un mot que je vous disais pour vous mettre sur la voie de ma pensée serait la première nouvelle que vous recevriez d’une chose importante ? » Il comprenait mieux maintenant pourquoi Decazes s’était offensé des observations de Pasquier. « Je ne vois malheureusement pas que je puisse vous être utile. Mais, puisque vous avez conservé la formule : mon cher ami, qui parfois et peut-être dans la présente occasion ressemble au très humble et très obéissant serviteur de la fin d’une lettre, je crois que vous feriez bien sans chaleur, sans passion, de peindre au dit sieur ce qu’une pareille façon a de désagréable pour M. l’ambassadeur et de fâcheux même pour le fond des choses. Il faudra bien qu’il réponde, et alors comme alors. »

Decazes se préparait à suivre ce conseil quand il reçut de Pasquier la réponse à ses plaintes. Elle n’était pas tendre, cette réponse. Il put y relever des phrases telles que celles-ci : « Le ministère des Affaires étrangères de France ne peut être établi à