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Londres. » — « Véritablement, je ne comprendrais pas comment ce qui a pu s’accommoder avec les plus grandes existences de ce pays ne pourrait être supporté par vous. » Donner des leçons sous des formes si dures, c’était répandre de l’huile sur le feu. Néanmoins, Decazes ne se hâta pas de protester. « Mais, si je diffère de répondre à Pasquier, disait-il au roi, il n’y perdra rien ; la modération et le calme n’y perdront rien non plus, on peut en être assuré. » Il songeait à faire juge du dissentiment le duc de Richelieu, et cette fois le roi l’approuva.

« Je vous ai dit ce que je pensais que vous aviez à faire ; je n’ai pas changé d’avis. Mais, en lisant votre lettre, ce que vous me dites, dès le commencement, du duc de Richelieu m’avait fait venir la pensée de m’en ouvrir à lui, non pas de roi à ministre, mais d’homme à homme, et il serait très possible, si le hasard l’eût amené chez moi avant la lecture de votre lettre achevée, que cette ouverture fût faite depuis vendredi. Mais, il est venu plus tard, j’ai achevé ma lecture et j’ai trouvé votre idée meilleure que la mienne. Je vous conseille donc de l’exécuter et je m’en rapporte parfaitement à vous pour la mesure qu’il est bien nécessaire de mettre dans votre lettre. »

Par le courrier suivant, il insistait :

« J’espère, quoique vous ne m’en disiez rien cette fois, que vous n’avez pas renoncé au projet d’écrire au duc de Richelieu. Il me semble que vous devriez lui parler avec une entière ouverture en lui peignant les inconvéniens de la marche suivie à votre égard : 1° pour la chose en elle-même, 2° pour votre personne, le tout fortiter in re, suaviter in modo. Il est bien certain que tout cela me cause des peines dont la moindre n’est pas d’ouvrir avec une sorte d’inquiétude ces lettres que, naguère encore, j’ouvrais avec délices. Mais vous me connaissez assez pour être assuré que je n’en laisse rien paraître. Il me faut des coups d’une autre espèce pour ne pouvoir en cacher l’effet. »

Enfin, une troisième lettre sur ce pénible sujet acheva de marquer le sentiment personnel du roi, quant aux procédés du ministre des Affaires étrangères envers l’ambassadeur. Le roi avait lu les lettres de Pasquier et les minutes de celles de Decazes, et c’est après cet examen qu’il prononçait : « En point de droit, on ne peut nier que le ministre des Affaires étrangères est le supérieur d’un ambassadeur. Aussi, j’espère que dans votre lettre au duc de Richelieu, vous n’arguerez pas contre ce principe.