Page:Revue des Deux Mondes - 1899 - tome 156.djvu/822

La bibliothèque libre.
Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

hommes règnent ou se croient si près de régner ; je me suis enveloppé dans mon manteau, et me suis laissé frapper de toutes parts, sans me plaindre. Leur ai-je disputé un moment le pouvoir ? Je ne l’ai pas défendu un jour quand je l’avais ; je l’ai donné tout entier, sans restriction et sans réserve ; j’ai été où l’on a voulu, quand on l’a voulu. J’ai vu frapper mes amis, j’ai vu conduire mon roi et mon pays jusque sur le bord du précipice qu’ouvrait sous leurs pas la loi des deux degrés et d’où tant d’autres fautes les ont tant approchés. J’ai vu se former presque impunément, j’ai vu presque réussir huit conspirations en huit mois ; j’ai vu les Bertin de Vaux, les Donnadieu, les La Bourdonnaye, les Duhamel et tout ce qu’un parti furieux avait eu de plus insolens détracteurs de l’autorité et de la personne royale portés et élus !… J’ai vu tout cela, et je me suis tu. J’ai dévoré en silence mes douleurs, mes craintes pour tout ce qui m’est cher, mes remords de n’avoir pas assez prévu ce que devait produire ma faiblesse ! »

Si ces faits étaient vrais, et ils ne l’étaient que trop, qu’avait-on à lui reprocher ? Après avoir protesté contre les exagérés et les fous qui exigeaient du roi qu’on l’immolât à leur rage, il reprenait :

« Y a-t-il bien loin de telles exigences à celles auxquelles Ferdinand a cédé naguère à Madrid ? Et ceux qui ont osé demander au noble caractère du duc de Richelieu d’arracher ces résolutions au roi sont-ils moins coupables ? Le duc de Richelieu ne reconnaît-il pas là les gens qui lui demandaient, en décembre 1815, le renvoi de Barbé-Marbois et le mien, parce qu’une tête avait échappé à l’échafaud ; qui demandaient, un an plus tard, celui de Laîné, de Molé, de Pasquier ? Croit-il qu’il y ait loin de proscrire un ministre qui ne l’est plus à chasser ceux qui le sont ? Ne comprend-il pas tout ce qu’a de pesant un tel joug ? Ne comprend-il pas qu’il ne saurait être supporté longtemps et qu’il faudra bien qu’il le secoue un jour, qui ne saurait être éloigné. Déjà ce qu’il me mande (la menace de sa démission) est connu à Paris, d’où on m’écrit qu’il se retirera, si j’y reste plus de huit jours. Maintenant, je pourrais lui demander : Quels lieux assignez-vous à mon exil ? Quel temps prescrivez-vous ? Le temps seul, me dit-il, peut changer cet état de choses et calmer les haines. Les haines de qui ? C’est donc aux Bertin, aux Dudon, aux Donnadieu qu’il faut sacrifier la dignité et l’autorité royales, l’amitié, les droits les plus sacrés du roi, l’humanité, la pairie ? Où sommes-nous donc ? Ne sent-on pas que le pays ne peut pas ne pas rougir d’être gouverné