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recueillies depuis m’en ont donné une plus triste certitude. Cette lettre m’a beaucoup coûté à écrire. La plaie saigne et saignera longtemps. Mais j’ai cru, je continue à croire fermement que j’ai rempli mon devoir. Cette idée, et celle que vous me plaindrez plus que vous-même, soutient mon courage. Il n’y a que la pensée du malheur qui vous menace contre laquelle je ne peux trouver de forces. »

Enfin, le 25, comme le roi n’avait pas encore reçu de réponse décisive à sa lettre du 14, ou tout au moins « à l’article le plus important et qui lui avait coûté le plus à écrire, » il s’appliquait à justifier le duc de Richelieu, que Decazes soupçonnait d’être opposé à sa demande de congé. « C’est à tort que vous en faites mon petit Truffard. Jamais il ne lui serait venu dans l’esprit de s’y opposer. Pour le surplus, je n’ai point agi par conseil, mais d’après une triste conviction, acquise par beaucoup d’informations prises de divers côtés et qui n’ont pu me laisser aucun doute. Personne n’a vu ce que je vous ai écrit, ni ne pourra le voir ; je n’en ai point de copie. Ce serait peut-être abuser de l’autorité que d’exiger de vous de suivre mes conseils ; mais, c’est user des droits de l’amitié de vous y exhorter fortement. Quant à moi, ce que j’ai annoncé, je le ferai. »

Ainsi, le doute n’était plus possible pour Decazes. Il pouvait venir à Paris, si tel était son bon plaisir. Mais, à peine arrivé, il devrait en partir. S’il entendait y rester, le roi cesserait de le recevoir. Il fallait que la conviction du vieux monarque fût bien forte pour lui dicter des conseils qui étaient bien près de ressembler à des ordres. Mais cette conviction, Decazes ne la partageait pas. Il ne croyait pas que sa présence à Paris constituât, pour la chose publique, pour la monarchie, pour lui-même, ce péril dont on lui parlait sans cesse et au nom duquel on le tenait exilé. Il pensait, au contraire, qu’en se montrant aux Tuileries, dans les salons, à la tribune de la Chambre des pairs, il en imposerait à ses ennemis et délivrerait la Couronne du joug des ultras, chaque jour plus despotique, que le roi subissait, après s’y être, durant si longtemps, dérobé à force d’énergie. Il s’alarmait et s’indignait de l’audace d’un parti qui n’attaquait en lui que la bienveillance royale et qui préludait par cet outrage à la domination qu’il rêvait d’exercer sur le souverain en l’isolant de son peuple.

« Qu’ai-je fait pour justifier ces craintes et cette haine ? s’écriait Decazes. J’ai fait les trois quarts de la loi par qui ces