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aurait tort d’y voir la preuve qu’il regrette la résolution qu’il a prise d’exiger, au bout de huit jours, le départ de « son fils. » Loin de la regretter et d’y vouloir introduire un amendement, il s’y tient avec une énergie que dissimulent mal les formes familières sous lesquelles il s’exprime. On dirait même que c’est à l’unique fin de rendre plus précise et plus nette sa volonté qu’il la commente et la justifie une dernière fois :

« Je n’étais que trop sûr que ma lettre du 14 février t’affligerait. Elle m’a bien coûté à écrire. Mais j’aurais cru manquer à l’amitié si je ne t’avais prévenu de ce que la nécessité des circonstances exige de moi. Tu ne le sais que trop, dans un gouvernement comme le nôtre, il est impossible de se passer de la majorité. Le ministère actuel l’a par la réunion du centre et de la droite. Mais l’injustice de cette droite envers toi n’est pas diminuée, et j’ai la triste certitude que, si ton séjour se prolongeait ici, la majorité dissoute nous plongerait dans un chaos inextricable.

« Je t’aime plus que jamais. Le dissimuler serait une lâcheté. Plier sous le poids des circonstances n’est pas même une faiblesse. J’ai dû te prévenir de ce que je serais obligé de faire dans un cas prévoyable. Si j’y suis revenu dans toutes mes lettres, ce n’est pas que je doute de ta complaisance pour ton père et de ton obéissance envers le roi. Mais, le sujet qui m’afflige, ma plume y revient sans cesse malgré moi. Il est impossible de douter que les médecins ne soient unanimement d’avis qu’un climat plus chaud que celui-ci ne soit indispensablement nécessaire à notre chère petite. Albi vient de faire un miracle en faveur de ta belle-sœur ; j’espère qu’il en produira un second. Il me paraît impossible que huit jours de repos ne soient plus que suffisans pour mettre notre Égédie en état de continuer sa route, et quant aux affaires, il n’en est point qui ne doivent céder aux tristes, mais impérieux motifs que je t’ai exposés. »

Il importe peu maintenant qu’en finissant sa lettre le roi revienne aux vieilles formules et semble prodiguer « à son fils » les mêmes témoignages de tendresse et d’intérêt qu’autrefois, ni qu’il paraisse vouloir hâter le moment qui les réunira ; Decazes ne peut se tromper à ce retour à des habitudes de langage, ni se faire illusion, quant au caractère des sentimens qu’on lui manifeste. On lui a changé son roi ; il ne le reconnaît plus à cette rigueur de volonté qui jamais ne s’était exercée contre lui. Il achève