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tristement la lettre dont le début l’avait trompé, et dont la fin le tromperait encore, s’il n’en avait lu le milieu.

« Tu seras ce soir à Amiens, lui dit Louis XVIII en terminant. Je ne puis croire que demain tu puisses aller plus loin que Beauvais. Alors tu ne seras à Paris que lundi assez tard. Voici en tout état de cause l’arrangement que je te propose. Si tu arrives d’assez bonne heure pour venir passer chez moi depuis quatre heures jusqu’à cinq, terme de rigueur, viens-y. Si tu arrives plus tard, je t’attends à neuf heures et demie bien précises, afin que nous puissions passer une heure ensemble, car je continue toujours à me coucher à dix heures et demie. Mais, avant tout, écris-moi un mot, sous le couvert de mon premier valet de chambre, pour me faire connaître ta marche. Bonjour, cher fils bien-aimé, je t’embrasse, et notre chère Egédie, et notre petit Louis… »

Ce fut le 12 mars, dans la soirée, que le roi et son ancien ministre se retrouvèrent. Decazes était venu à cette audience le cœur anxieux, un peu inquiet de l’accueil qu’il allait recevoir. Il fut bien vite rassuré, car la sensibilité naturelle du monarque se manifesta en des accens très doux, très affectueux, et surtout en une joie sincère de revoir « son fils » et de l’embrasser. Mais, ces effusions témoignées, le roi redevint prudent et réservé, très attentif à ne pas laisser la conversation s’égarer sur les choses de la politique courante, si ce n’est celles dont son ambassadeur en Angleterre avait le droit de parler. Il fut donc impossible à Decazes de faire entendre les conseils et les avis préparés par lui pour être soumis au roi en vue de la politique intérieure de la France. Dans les huit visites que, du 12 mars au 21, il lui rendit, leur entretien conserva cette physionomie de réserve excessive, qui, de la part du plus puissant des deux interlocuteurs, trahissait la crainte d’en trop dire ! D’ailleurs, dès la première entrevue, le roi avait assigné comme terme aux audiences la date du 22, et Decazes s’était engagé à partir le 23. Mais, l’aggravation de l’état de sa femme vint brusquement déjouer ces calculs. Le 21, à l’heure où il était attendu chez le roi, il dut lui mander que, ne pouvant s’éloigner du lit de la malade, il était condamné à se priver ce soir-là du bonheur de se rendre aux Tuileries.

Et le roi de répondre :

« Ce que tu me dis, mon cher fils, de l’état de la petite m’afflige vivement. Il m’est cruel de perdre un des deux derniers jours de consolation qui me restaient d’ici à quelque temps. Mais