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remplie par la rivalité acharnée des meneurs et les scissions interminables. C’est, au fond, une véritable lutte des classes au sein même du socialisme, entre l’élément démagogique bourgeois, et l’élément ouvrier, entre les « Intellectuels » et les « Manuelards. »

Tous les militans et les meneurs se montrèrent absolument hostiles à la loi de 1884 sur les syndicats professionnels, qui abrogeait Je texte anti-social de la loi des 14 et 17 juin 1791, donnait aux syndicats la liberté de se constituer avec la garantie de la publicité des noms de leurs administrateurs et de leurs statuts, et le droit de se fédérer. Par ce droit d’organisation, elle fortifiait à la fois la puissance ouvrière et la puissance patronale. C’est, dans l’ensemble, la loi la plus favorable à la classe ouvrière qui ait été votée en France depuis un siècle. Elle complétait la législation du ministère Ollivier. Ce sont les bourgeois, remarque M. de Molinari, qui, en Angleterre comme en France, ont donné aux classes ouvrières la liberté de se constituer. Louis Blanc, l’auteur de l’Organisation du travail, ne songeait pas à abolir les lois restrictives de la liberté d’association. Les coryphées socialistes de 1884 présentaient la nouvelle loi comme un simple leurre ; pis que cela, comme une œuvre de réaction et de police, destinée à mettre on tutelle le mouvement ouvrier : elle n’avait d’autre but que d’énerver, dans les syndicats régulièrement constitués, l’esprit de révolution, et ce serait le plus grand éloge qu’on en puisse faire. En dépit de la loi, les tendances intransigeantes continuèrent à dominer ; les syndicats socialistes écartèrent d’eux les quelques syndicats mutuellistes, qui, en 1886, au Congrès de Lyon, firent un dernier effort pour reprendre la direction du mouvement ouvrier.

Cependant, à mesure que les socialistes entraient dans les corps élus, au Conseil municipal de Paris et à la Chambre, la querelle s’envenimait entre les syndicaux et les politiciens, qui prétendaient englober l’organisation ouvrière dans l’organisation politique. Les rivalités et les compétitions électorales sont une pomme de discorde ; l’action économique est un gage d’union dans les syndicats. Une rupture éclatante eut lieu au Congrès de Nantes en 1894, sur une question de tactique, rupture qui se renouvela avec scandale au Congrès international de Londres. Les syndicaux opposaient la grève générale, comme moyen de révolution exclusivement prolétarien, à la conquête des pouvoirs publics, prêchée par les démagogues bourgeois.