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représenté comme « le dernier mot du pouvoir patronal concentré sur la tête d’un homme qui seul dirige entièrement et administre l’entreprise. » Interrogé par la Commission, le préfet de Saône-et-Loire, dont le témoignage ne peut être suspect de partialité, constate que « la Compagnie de Blanzy est une de celles qui ont fait le plus de sacrifices pour leurs ouvriers : aussi s’offrent-ils volontiers ; la grande majorité est satisfaite, la moitié des ouvriers sont propriétaires de leurs maisons. » Il constate qu’il n’y a pas de syndicat, mais que, « s’il s’en formait un, il pourrait peut-être vivre, car l’attitude politique de la Compagnie a changé. » — « La Compagnie, lui demande-t-on, exerce-t-elle une surveillance occulte[1] ? — Oui, répond-il ; mais, si les ouvriers voulaient voter républicainement, ils le pourraient[2]. » Les journaux radicaux socialistes de la région faisaient à la Compagnie une guerre acharnée. Ils se proposaient « de démolir moralement, en attendant mieux, la forteresse industrielle et cléricale, obstacle à l’émancipation ouvrière, » et les condamnations pour diffamation n’arrêtaient pas leur propagande. Comme nous l’avons dit, l’exemple du Creusot a été contagieux pour Montceau. Au 1er mai de cette année, les ouvriers refusaient d’écouter les orateurs socialistes. Lorsqu’ils se sont mis en grève, les mineurs, à la sortie des puits, ne savaient quelles revendications formuler. Ils ont formé leur syndicat, auquel ils se sont inscrits en masse, et ils cherchent à introduire dans la mine, comme le leur enjoignaient les meneurs, un syndicat démocratique.

Le paternalisme bienveillant et bienfaisant devient de plus en plus difficile au milieu de ces grandes agglomérations ouvrières, accessibles à tous les courans du dehors. Il augmente les points de contact, et, par suite, les occasions de conflit entre employeurs et employés. Les ouvriers s’imaginent volontiers que les institutions patronales se fondent et se maintiennent par un prélèvement fait sur leurs salaires, ou deviennent une source de bénéfices d’oppression et de production intensive. M. Paul de Rousiers nous a conté[3] comment la grande grève Pullman aux Etats-Unis, en 1894, qui prit de si grandes proportions, naquit d’un esprit de philanthropie inopportun et mal entendu. M. Pullman

  1. Ces grandes compagnies, comme les villes, ont leur police secrète.
  2. M. de Gournay, en 1895, était élu conseiller général par 3 885 voix sur 4 226 votans.
  3. La Vie américaine 1899, p. 246 et suiv.