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gouvernement, les projets d’exode vers Paris ne suppléent pas au nerf de la guerre et de l’indépendance, à l’argent. Mais, le jour où les syndicats français comprendront qu’il s’agit non de lever les mains pour voler des résolutions, mais de porter la main à la poche pour les soutenir, le jour où ils deviendront capitalistes, comme en Angleterre, ils se sentiront animés d’un tout autre esprit.

Afin de hâter cette évolution, M. Waldeck-Rousseau, au lendemain de la sentence d’arbitrage qui mettait lin à la grève du Creusot, promettait que le gouvernement déposerait à la rentrée des Chambres un projet de loi complétant la loi de 1884, et ajoutant, à la personnalité juridique des syndicats, la capacité commerciale, afin d’étendre indéfiniment le champ de leur activité. M. Waldeck-Rousseau avait annoncé jadis ce complément nécessaire à son œuvre, lorsqu’il disait : « Le but est d’amener le salariat à la propriété commerciale et industrielle. Le travail doit sortir de l’isolement par des organisations collectives. Ce n’est pas du socialisme, c’est le progrès social. Il ne faut pas écarter le capital, mais il faut rendre possible son acquisition. Il faudra, dans un avenir prochain, que le capital travaille, et que le travail possède. » On ne saurait mieux dire. Mais la capacité légale d’acquérir n’en comporte pas l’aptitude effective, et tout dépend, en dernière analyse, de la valeur des individus[1].

Il suffit de l’observation la plus superficielle du mouvement des classes ouvrières dans tous les pays pour se rendre compte du rôle considérable que les syndicats sont appelés à jouer dans le régime actuel du travail, et dans celui de l’avenir. On a dit, en ce sens, que la fondation du moindre syndicat ouvrier présentera plus d’importance pour l’historien de l’avenir que la bataille de Waterloo. Une force nouvelle s’est révélée dans le monde moderne, celle de l’association volontaire et libre. La formation des groupemens de travailleurs est générale et, pour ainsi dire, spontanée. Le syndicat sort du sein du peuple ; la population ouvrière s’identifie tellement avec lui qu’elle semble ne penser, ne vouloir et n’agir que par lui. Il représente dans l’industrie l’avènement de

  1. Il se pourrait que la nouvelle loi de M. Waldeck-Rousseau, une fois volée, soit, au début, aussi impopulaire près des syndicats militans que celle de 1884. Déjà nous entendons dire qu’elle ne sera favorable qu’aux syndicats catholiques, qui, eux, trouveront de l’argent. Et voilà peut-être M. Waldeck-Rousseau suspect de cléricalisme !