Page:Revue des Deux Mondes - 1899 - tome 156.djvu/866

La bibliothèque libre.
Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

cette démocratie, qui règne en politique, et qui marque la transformation d’une société. L’idée d’une classe gouvernante, lisons-nous dans la Démocratie industrielle de Sidney Webb, a disparu pour ne plus revenir. Désormais employeurs et ouvriers se rencontrent égaux[1]. Le marché individuel entre le possesseur des moyens de subsistance et le vendeur de la force de travail est abandonné. À ce contrat individuel tend à se substituer le contrat collectif pour le règlement en commun des salaires et des conditions du travail. La liberté des entrepreneurs de choisir leur personnel va se restreignant à mesure que les syndicats et les unions ouvrières croissent en puissance. M. de Molinari prévoit que l’usage de la commandite, déjà établi dans certaines industries, par exemple chez les typographes, parmi lesquels les unions elles-mêmes se chargent vis-à-vis des chefs d’entreprise de fournir le travail, ira se généralisant. Au lieu d’exécuter le travail en régie, on s’adressera aux syndicats ; et on y trouvera une économie de forces, une assurance contre les risques de grève, une diminution des frais de direction, de surveillance, de comptabilité. En même temps, les ouvriers se sentiront indépendans. Ce système, s’il était possible de le généraliser, conduirait, selon M. de Molinari, à une entente pacifique entre employeurs et employés.

Pour certains socialistes, la vie syndicale, c’est le socialisme en action ; c’est le socialisme non pas rêvé comme un millenium, mais réalisé dans la vie, dans l’esprit de chaque jour. Elle représente l’association, la solidarité, la subordination de l’individu à son groupe. « Il faut, écrit M. de Rousiers, de l’intelligence, une certaine largeur d’idées, de l’esprit public, comme disent les Anglais, pour que l’ouvrier répète chaque semaine le prélèvement qu’il s’impose sur son salaire. » Le syndicat est une institution juridique, autonome, créée par le prolétariat à l’exclusion de tout élément bourgeois. « L’avenir du socialisme réside dans l’avenir des syndicats ouvriers[2]. »

Les socialistes de cette école opposent le syndicalisme à la politique. Le socialisme politique est l’œuvre des mécontens, des

  1. On lit dans la Neue Zeit (9 septembre 1898) que « la prétention des entrepreneurs au droit illimité de conduire les travaux à leur guise, d’après le précepte ; Charbonnier est maître chez lui, est une philosophie de bonnet de nuit, qui ne distingue pas entre la demeure privée et les ateliers de centaines d’hommes. Cela était bon au temps des corporations, où le maître de maison surveillait les mœurs de ses compagnons. »
  2. G. Sorel, l’Avenir des Syndicats, 1898.