Page:Revue des Deux Mondes - 1899 - tome 156.djvu/868

La bibliothèque libre.
Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

et manufactures, formées de membres de la bourgeoisie. Enfin M. Millerand déclare solennellement que « toute l’armée du travail doit entrer dans les syndicats. »

Cette théorie des syndicats professionnels obligatoires rencontre dans différentes écoles socialistes et même chez certains économistes[1], des tenans convaincus. Elle compte aussi des adversaires. Ceux-là pensent, avec M. G. Sorel, que les syndicats doivent rester une sélection, une élite, imbue des principes d’un nouveau droit ; que l’influence de cette élite s’étend bien au-delà de ses membres ; que le nombre ne crée pas la vraie force ; que c’est l’office de la qualité ; qu’on s’affaiblit en absorbant des élémens faibles ; et que ces syndicats universels seraient livrés à l’influence des démagogues bourgeois. Mais, d’autre part, les syndicats d’élite, comme les vieilles Unions tournent aisément à l’égoïsme corporatif.

M. Bernstein, qui a introduit le plus d’idées nouvelles dans le socialisme, et qui s’étudie à combattre la routine traditionnelle du dogme, écrit dans le même sens[2] : « Si grande que soit la mission que l’on assigne aux syndicats, elle n’exige ni ne comporte leur omnipotence. S’ils doivent réunir tous les travailleurs d’un même métier, les syndicats ne peuvent à la fois protéger les intérêts de leurs membres et servir le bien public : ils dégénèrent en corporation exclusive avec tous les mauvais effets du monopole. Un syndicat comprenant les membres de toutes les branches d’une industrie, qui est l’idéal d’un assez grand nombre de socialistes, serait une association de production pourvue d’un monopole, en contradiction avec le socialisme et la démocratie, car les institutions socialistes se distinguent des institutions féodales par le libéralisme de leur constitution démocratique et leur universelle accessibilité. Il faut donc, d’après M. Bernstein, se garder de voir dans le syndicat la force magique qui mettra fin à la rémunération sous forme de salaire, un organisme approprié à la direction des établissemens industriels. Le syndicat ne peut faire du salarié un patron. » Un journal révolutionnaire, le Parti ouvrier, reconnaissait, à propos de la grève des mécaniciens de Londres, que, par leur opposition au perfectionnement du machinisme, ceux-ci

  1. L’opinion de M. de Molinari, c’est que l’organisation des forces ouvrières finira par s’étendre à la masse des travailleurs.
  2. Les Forces de la démocratie industrielle (Mouvement socialiste du 1er septembre 1899).