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trouvé isolé en pleine rade ; et les vieux pêcheurs du pays conservent la tradition d’une passe qui s’ouvrait en cet endroit, à 7 ou 8 kilomètres environ au Nord de la passe actuelle aujourd’hui couverte de dunes. La seule passe permanente et pratique est désormais celle du Sud ; mais elle est excellente. On doit d’abord s’engager entre le banc de Matoc et le banc de Toulinguet, raser la côte Sud à quelques brasses du banc d’Arguin, passer ensuite sur la longue barre qui forme un seuil entre ce banc et le banc de Bernet ; on suit alors la rade du cap Ferret en laissant à gauche le banc Blanc, et on va mouiller devant Arcachon, dans la rade profonde d’Eyrac. Il est peu d’entrées de port qui présentent un chenal aussi ondulé.

Dans son ensemble, le bassin d’Arcachon a la forme d’un grand triangle à peu près équilatéral, dont le contour a un développement de 84 kilomètres depuis le cap Ferret au Nord jusqu’à la tour du sémaphore au Sud. Le flot recouvre en basse mer environ 5 000 hectares, près de 15 500 pendant les grandes marées. Au centre du bassin, l’île des Oiseaux émerge toujours au-dessus de l’eau ; à mesure que baisse le niveau de la mer, l’île s’étend, s’allonge, s’élargit. Tout autour montent lentement un nombre considérable de bancs vaseux jusqu’alors noyés, mous, luisans, semblables au des poli de monstrueux cétacés qui viendraient respirer à la surface. La baie entière est encombrée pendant quelque temps par ces îlots temporaires d’un gris terne et sale, très bien désignés sous le nom de « crassats, » et entre lesquels serpentent mille petits canaux sinueux écoulant, tantôt dans un sens, tantôt dans l’autre, les eaux de la marée. À certaines heures, ces vases molles à demi noyées se confondent avec l’eau stagnante des canaux ; de larges stries raient la surface de l’étang, et l’immense cuvette marécageuse semble n’appartenir ni à la terre, ni à la mer, dubium ne terra sit an pars maris, comme disait si bien Pline en parlant des lagunes de Ravenne et d’Ostie.

Vue de loin et de haut, la baie d’Arcachon présente ainsi l’aspect d’un polype gigantesque dont les flexibles tentacules s’étendent dans tous les sens en de longues ondulations, et ces ramifications tortueuses servent d’accès à tous les petits ports échelonnés sur le pourtour du bassin. Le plus ancien de ces ports n’existe plus. C’était Boïos, centre principal de la peuplade des Boates ou Boïens, Boii. L’itinéraire d’Antonin place Boïos à peu près à l’embouchure de la Leyre. Jadis entouré de forêts de pins