Page:Revue des Deux Mondes - 1899 - tome 156.djvu/916

La bibliothèque libre.
Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

Elle tiendra ce serment. Que Thibaut l’y aide, et qu’il ne l’aime plus qu’en la personne de la France ! Gagné aux séductions d’un si noble langage, le comte de Champagne revient au parti de la Régente. Hugonnel reste donc seul représentant des feudataires révoltés. Il déclare en leur nom que les hostilités sont ouvertes, et, se souvenant d’un vieil usage, il déchire de son couteau la nappe du festin, en signe de déclaration de guerre.

Ce premier acte pose admirablement le sujet : on n’en saurait trop louer la clarté, l’ampleur, le dessin ferme et solide. Après cet acte d’exposition, M. de Bornier avait à choisir entre deux systèmes. Ou bien il nous donnerait une série de tableaux historiques reliés l’un à l’autre par un lien plus ou moins lâche, sinon simplement juxtaposés. Ou bien il introduirait dans l’œuvre une action destinée à devenir le ressort du drame et y ajouter un intérêt de curiosité. Le romantique qu’est M. de Bornier ne pouvait hésiter. Car la poétique du drame a été une fois pour toutes déterminée par les maîtres du genre auxquels s’imposait la pression d’un certain moment de l’histoire de notre théâtre. Au fond de tout drame romantique il y a un mélodrame, avec la complication des surprises et des coups de théâtre, avec l’accompagnement obligé de noires machinations, de trahisons, de duels et de suicides. Le drame romantique est cela même : c’est le mélodrame emprunté aux scènes populaires, transporté sur des scènes plus « littéraires, » et revêtu, aux meilleurs jours, d’un brillant manteau de poésie.

A tout mélodrame il faut un traître. Hugonnel sera ce traître. Il est l’homme sombre, l’intrigant ténébreux, le scélérat sans délicatesse. Il a une nièce, Aliénor, dont la naissance est mystérieuse et qui jadis, faisant partie d’une troupe de bohémiens qui l’avaient enlevée, a reçu de la Reine une injure qu’elle vengera. Dès le début du second acte il semble que l’oncle et la nièce soient tout près de l’achèvement de leurs méchans desseins. Dans cette forteresse du Crotoy, où s’est retranché Hugonnel, nous voyons arriver Thibaut, fait prisonnier, et Blanche qui commet l’imprudence insigne de se confier à la loyauté de son déloyal adversaire. Elle s’en repentirait, si le légat du pape n’arrivait tout à coup et à point nommé pour interposer son autorité. Encore cette autorité serait-elle en risque de rester inefficace si un routier chevaleresque n’avait, par bonheur, inspiré aux soldats de Hugonnel une salutaire désobéissance. Grâce à ce concours d’heureuses coïncidences, de hasards et d’à-propos, Thibaut recouvre sa liberté, Blanche de Castille est sauvée, Hugonnel et Aliénor se soumettent.

Ils se soumettent, mais c’est pour préparer plus commodément