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non seulement par la façon dont il y parle des héros de ses romans, mais par la façon dont il anime toutes ses idées, les transformant sur-le-champ en images concrètes. Voici, — je prends un exemple au hasard, entre mille, — voici en quels termes il prie un de ses correspondans d’aller voir, à Londres, son ami Colvin :


Quand vous serez à Londres, prenez un fiacre et faites-vous conduire au British Museum. La chose est tout particulièrement amusante à faire le dimanche, quand le Museum est fermé. Votre cocher veut raisonner, vous tenez bon. Le cocher vous conduit devant les grilles fermées, et vous dit : « Vous voyez, monsieur, je vous avais prévenu ! » Vous descendez de la voiture, vous soufflez dans l’oreille du portier les syllabes magiques Colvin, et le voici qui, tout de suite, vous ouvre le guichet. Et vous entrez, et le cocher vous prend pour un gros personnage.


Voyageant sur l’océan Pacifique, entre Taïti et les îles Marquises, il écrit, un matin, à M. Charles Baxter :


Mon cher Charles, cette nuit, pendant que j’étais couché sous ma couverture, courtisant le sommeil, j’ai eu une impression saisissante et comique. Je ne voyais rien que les étoiles du sud, et aussi un peu le pilote, debout là-bas près de sa lanterne ; et je pensais à ce qui allait nous arriver ce matin, priant Dieu qu’il nous permît de distinguer une touffe des palmiers qui indiquent au passager l’Archipel Dangereux. La nuit était chaude comme du lait. Et voici que, brusquement, j’ai eu une vision de Drummond Street ! Cela est tombé sur moi comme un éclair. Et j’ai tort de dire que j’ai eu une vision : je me suis simplement retrouvé à Edimbourg, et dans le passé. Je me suis retrouvé errant sur le trottoir, sous la pluie et le vent d’est, avec le cœur plein d’espérance et de crainte : craignant que ma vie ne fût un naufrage, et espérant timidement qu’elle n’en serait pas un ; craignant de ne jamais trouver un ami, encore moins une femme, et espérant passionnément de trouver tout cela ; et puis espérant que peut-être, si je ne versais pas dans l’ivrognerie, je parviendrais un jour à faire un petit livre, etc., etc. Et j’ai senti que j’avais le devoir de vous écrire. Excusez-moi de vous écrire si peu : quand je suis en mer, écrire me donne des maux de tête ; quand je suis dans un port, ma besogne me crie : « A moi ! A moi ! » Je ferai, j’espère, un beau livre de voyage. Bonne chance, que Dieu vous bénisse ! Votre ami fidèle. R. L. S.


Ce besoin d’imaginer était si profond et si fort, chez Stevenson, que dans ses conversations avec ses amis, il ne cessait point d’inventer des personnages fictifs, à qui il prêtait ensuite toute sorte de sentimens imprévus et d’étranges propos. C’est à cette classe d’amis qu’appartiennent Pirbright Smith et M. Pegfurth Bannatyne, les deux sympathiques Écossais dont le poète parle à M. Henley, dans une lettre de juillet 1882 :