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majorité du corps électoral, et il faudra réclamer la représentation proportionnelle, non plus tant pour garantir le droit des minorités contre les empiétemens de la majorité, que pour protéger le droit de la majorité contre les usurpations des minorités.


II

Les esprits plus ou moins familiarisés avec le problème de la représentation proportionnelle ont peine à se figurer l’impression de ceux qui les premiers l’abordèrent de face. Un des savans les plus estimés et les plus consciencieux de la Suisse contemporaine, M. Ernest Naville, a raconté à la Conférence proportionnante d’Anvers qu’en 1864, il relevait de maladie, quand les troubles de Genève lui ouvrirent les yeux sur les abus du régime majoritaire. Il commença par se demander si la fièvre n’avait pas affecté sa raison, tant il avait peine à admettre que le gouvernement représentatif reposât partout sur un principe faux ; il ne se sentit rassuré qu’après avoir lu les pages éloquentes où Stuart Mill expose la théorie de la représentation vraie ; et il consacra désormais à la poursuite de cette réforme tous les momens qu’il put dérober à ses études de philosophie et d’histoire. Dans un autre hémisphère, une dame australienne, avantageusement connue comme conférencière et comme publiciste, miss Catherine Helen Spence, rapportait dernièrement qu’ayant pris connaissance, en 1859, du mode de votation proposé par Thomas Hare pour assurer la représentation des minorités, elle y vit « comme une révélation d’en haut ; a revelation from above ; » et elle passa les quarante années suivantes à répandre cet évangile politique, non seulement dans les colonies australiennes, mais encore en Angleterre et jusqu’aux Etats-Unis.

Cet enthousiasme a eu sa contre-partie. En Angleterre même, Stuart Mill fut largement traité d’utopiste, et un publiciste aussi judicieux que Bagehot n’hésitait pas à écrire que la thèse de Thomas Hare tenait du roman. En Belgique, lorsque, au cours de l’année 1866, un député conservateur, M. Jules de Smedt, attira pour la première fois l’attention de la Chambre belge sur les nouvelles théories de la représentation, son discours, tout platonique qu’il fût, lui valut les plus vives ripostes de ses collègues, notamment de deux libéraux qui devaient plus tard se rallier avec éclat à la cause de la représentation proportionnelle,