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Jusqu’ici, par sa nature même et son procédé d’exécution, la dentelle aux fuseaux exigeait de l’ouvrière plus de pratique que d’intelligence et se réduisait parfois à une simple routine machinale. De plus, sa tonalité uniforme, la répétition exagérée des mêmes modèles et leur impersonnalité faisaient qu’elle ne pouvait être appréciée qu’au point de vue de l’exécution, et par un lot assez restreint de connaisseurs, dont le suffrage préoccupe assez peu les élégantes. Enfin la concurrence de plus en plus savante des machines jette la confusion et le trouble dans les esprits ; devant une dentelle arborée par une dame, instinctivement les profanes, c’est-à-dire presque tout le monde, se demandent si elle est vraie ou imitée.

Il faudrait donc, par un procédé à trouver, affirmer et rendre plus apparente la marque d’authenticité de la dentelle, à la main ; en faire un article de luxe et un objet d’art qui se payât assez cher pour rémunérer convenablement l’ouvrière ; enfin lui donner un caractère de rareté propre à décourager l’imitation, et faire en sorte que son exécution exigeât de la part de la dentellière un effort d’intelligence qu’une machine ne saurait donner.

Voilà les termes du problème industriel qui nous occupe ; je croirais assez que la nouvelle dentelle polychrome de Courseulles-sur-Mer (Calvados) nous en donne une solution, et à ce titre il convient de l’examiner avec attention.

L’idée en est simple : jusqu’ici, la dentelle était obtenue par des croisemens de fils de même couleur ; à Courseulles, on y a substitué des soies de couleurs variées, permettant de faire intervenir dans le tissu, avec leur valeur et leur tonalité propres, les divers motifs décoratifs qui en forment la composition. C’est, on le voit, une véritable révolution dans la technique de cet art, et les heureux inventeurs de ce procédé, MM. Georges Robert et Félix Aubert, en ont obtenu des résultats tout à fait décisifs : évidemment, nous sommes là en présence d’un art nouveau, susceptible de grands effets.

Cette dentelle polychrome séduit d’abord par l’aimable variété des couleurs, par une gamme de notes fines et gaies, qui tranchent avec la sévérité un peu monotone des anciens genres ; il y a là une réelle surprise de l’œil et un charme tout spécial en présence de ces dégradations savantes, de ce moelleux des nuances, de l’unité du tissu et du décor, de l’harmonieux équilibre des clairs et des surcharges, des pleins et des ajours. Et la nouveauté,