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serait légitime, mais le travail, qu’il restreint à l’imitation. Les catégories tranchées laissent échapper le réel. Il y a du travail dans l’invention, ne fût-ce que pour la préparer et la faire naître. On peut dire, en outre, que, dans toute invention, il y a une certaine part d’imitation, comme dans toute imitation il y a une sorte d’invention à l’état naissant puisqu’il faut retrouver en partie pour son compte et refaire ce qu’un autre a déjà fait. Mais il est certain que la dose relative des deux élémens est très variable, et c’est le plus dominant qui donne son nom au mélange. On peut donc accorder que le travailleur proprement dit, surtout le travailleur manuel, est avant tout imitateur. M. Tarde a raison de nous dire que le paysan qui laboure, multipliant les sillons parallèles, que le vigneron qui soufre sa vigne, que le tisserand qui pousse sa navette, que le chauffeur qui, dans la gueule enflammée du foyer, lance à temps égaux pelletée de houille sur pelletée de houille, ne font, à chaque effort, « qu’imiter les inventeurs de la charrue, du soufrage, de la machine à tisser, de la locomotive. » Il y a du vrai dans la boutade du poète :


C’est imiter quelqu’un que de planter des choux.


Et c’est aussi imiter quelqu’un que de faire des vers ! Le poète, dans sa pensée la plus personnelle, se met encore à l’unisson d’autres penseurs, d’autres poètes, de tous ceux qui ont vécu avant lui et surtout qui vivent avec lui. Cette part d’imitation, que l’instruction rend possible, n’empêche pas, elle prépare, au contraire, le jaillissement de la source nouvelle, l’originalité du génie créateur. Inversement, il peut y avoir aussi une part d’adresse personnelle, un je ne sais quoi de caractéristique dans la façon dont un mécanicien dirige sa locomotive ou même dont un vigneron soigne sa vigne. En tout cas, il y a de meilleurs mécaniciens et de meilleurs vignerons ; il y en a de plus intelligens, il y en a de plus laborieux. La personne humaine trouve donc toujours moyen de s’imprimer dans ses œuvres, même dans des œuvres d’imitation. Et ce phénomène ira croissant à mesure que croîtra la part de la science dans l’industrie Celle-ci, après avoir semblé réduire l’ouvrier au rôle de machine, l’élèvera peu à peu à la dignité d’homme instruit et parfois d’homme de science.

M. Tarde établit une seconde opposition entre l’invention et le travail : inventer, dit-il, s’est se dévouer, qu’on le sache ou non. L’inventeur devient la chose de son idée fixe, elle l’emploie. « Il