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d’autre chose. Ils sont intarissables sur la beauté du spectacle que l’Exposition présente déjà : que sera-ce dans quelques jours ? A les en croire, le ministère seul a pu faire sortir de terre ce prodigieux décor d’opéra : sans lui, nous aurions abouti à un échec complet. C’est une manière de comprendre, ou d’écrire l’histoire : mais il y a beaucoup de gens qui, par mauvais esprit sans doute, y restent insensibles. Ceux qui croyaient que l’Exposition universelle suspendrait pour six mois notre existence nationale, et que chacun de nous, pétrifié dans l’admiration, ne pourrait plus penser à un autre objet, doivent commencer à reconnaître leur illusion. La France tout entière n’est pas convertie, pour six mois, en hôtellerie, ni tous les Français ne sont changés en maîtres d’hôtel. Nous gardons notre vie propre ; elle continue de fonctionner comme auparavant. Aucune distraction ne nous détourne de nos affaires.

C’est le 6 mai, c’est-à-dire dans quelques jours, qu’auront lieu les élections municipales : jamais peut-être la lutte ne s’est annoncée comme devant être aussi disputée. Tous les partis s’organisent. On fait des manifestes, on distribue dei mots d’ordre, on se prépare de part et d’autre avec une ardeur inusitée dans ce genre de combats. Les élections municipales, malgré l’intérêt qu’elles présentent, et qui est parfois très vif dans chaque commune, n’avaient pas l’habitude d’occuper et de passionner le pays comme elles le font cette année. D’où cela vient-il, sinon d’un véritable réveil de la vie politique ? Si c’est là le résultat que poursuivait le ministère, il l’a obtenu : mais nous doutons qu’il l’ait cherché. La vérité est que tout le monde se sent aujourd’hui plus ou moins menacé, et par conséquent obligé de se défendre. Autrefois, les partis modérés avaient une tendance, d’ailleurs fâcheuse, à s’en remettre au gouvernement du soin de veiller sur eux et de les protéger, n’leur semblait même que c’était là son devoir, sa tâche naturelle, sa fonction essentielle. Mais il leur serait difficile, en présence d’un ministère semi-socialiste, de conserver une confiance qui a toujours été un peu ingénue, et qui prendrait en ce moment un caractère plus grave. La nécessité de l’action individuelle apparaît à un très grand nombre d’esprits dés- abusés ; ils reviennent au vieil axiome : Aide-toi, le ciel t’aiderai Et chacun s’apprête à s’aider soi-même. Peut-être aurait-il mieux valu commencer plus tôt. Peut-être aussi l’occasion présente n’est-elle pas celle qu’il aurait été préférable de choisir, car les élections municipales gagneraient à être dégagées des préoccupations politiques. Sans les exclure absolument, nous les reléguerions volontiers au