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le monde et à tout moment, mais elle se rattrape à l’improviste, et le charme qui soudain se dégage d’elle, charme d’esprit et de passion, a le piquant d’une surprise.

— Que dites-vous de ces opinions révolutionnaires, mesdemoiselles ? s’écrie Claire en se voilant la face de ses deux mains. Elle ne veut plus du mariage ! Vous l’avez entendue… Ce ne sera pas trop de nous toutes réunies pour lui répondre, car nous avons affaire à forte partie. Allons, aux voix ! Dites : le mariage dont certaines jeunes personnes très avancées font fi, comment chacune de vous le comprend-elle ?

— C’est bien simple, dit Berthe Reboulet. Habiter Paris avec un train de maison confortable, ma loge à l’Opéra, les eaux ou la mer en été. Je me passerais de la campagne proprement dite. Vous voyez que c’est déjà une sérieuse économie.

— Et le mari ?

— Oh ! je ne tiendrais pas à un Adonis, les bellâtres sont ridicules, ni surtout à un de vos hommes de génie, des originaux insupportables dans la vie de tous les jours. Non, un homme occupé, d’un bon caractère, qui gagne de l’argent, — c’est le lot de ces messieurs, — et qui me laisse libre de le dépenser, un homme comme papa. Il ne me déplairait pas de lui être supérieure, ajoute Berthe avec une franchise qui égaye ses compagnes.

— Très bien. Kate nous a déjà confié ses aspirations : lingerie de soie et comtesse, dit Mlle des Garays. Et vous, Claire ?

— Moi, j’attache, je l’avoue, une certaine importance au physique. Je ne haïrais pas un beau garçon… tenez, dans le genre de votre cousin le soldat, qu’on rencontrait souvent chez vous autrefois. Dans l’armée, on garde en général des sentimens religieux… je tiens à cela et aussi aux bons principes en politique… À propos, qu’est-il devenu votre cousin ? Il y a au Louvre un dragon de Géricault qui lui ressemble. Quelle taille athlétique, quelles moustaches ! Un héros évidemment. Le regard un peu dur, mais je hais les poules mouillées. Je ne sais quoi de martial, d’élégant et de robuste. Si j’avais un cousin de cette tournure-là, je m’arrangerais pour en faire un mari.

Tout en parlant, elle tient, braqués sur la cousine, des yeux dont la candeur masque un peu de malice.

Les lèvres de Marcelle ont un léger frémissement ; c’est ainsi que l’émotion se trahit chez elle, sa bouche est une sensitive qui, sans parler, ne sait pas garder de secrets.