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— Bah ! vous ne changeriez pas avec elle, même à ces conditions, s’il fallait aussi prendre sa figure.

— À quoi me servira la mienne ?

Et Kate, — c’est dans l’intimité son nom déguisé à l’anglaise, — lève vers un miroir des yeux de pervenche où brille, promptement refoulée, une petite larme.

— On ne sait jamais ! Peut-être à faire la conquête d’un prince, ou d’un millionnaire, ce qui vaut encore mieux du temps qui court, réplique Berthe Reboulet, très positive.

— Vous avez beau dire, elle est heureuse.

Le mot est relevé vertement par Marcelle :

— Heureuse ? Qui donc peut se flatter de connaître le secret du bonheur de son voisin ? pas plus que le secret de ses peines, du reste ? Notre bonheur, nous le créons, nous le gagnons, il ne nous tombe pas des nues. Tout ce que vous enviez là ne me dit rien du tout… Si fait, pourtant… Je pense aux larmes qu’essuieront peut-être ces mouchoirs à couronne, je me rappelle aussi la jolie histoire de l’homme heureux, si longtemps cherché et finalement découvert dans la peau d’un vagabond qui n’avait pas de chemise. Notre amie Odette est vraiment trop loin, vous l’avouerez, de cette condition de bonheur !

— Quel philosophe vous faites, Marcelle ! Ce n’est certes pas moi qui prendrais mon parti de n’être pas mariée à vingt-cinq ans ! s’écrie étourdiment Claire de Vende.

— Mais, s’il vous plaît, pourquoi y aurait-il nécessité de se marier à vingt-cinq ans ou à tout autre âge ?

Celle qui parle ainsi est une de ces personnes auprès desquelles on peut passer sans les remarquer, mais le regard, une fois arrêté, ne se détourne pas d’elles. De taille moyenne ; des cheveux bruns aux reflets dorés abaissés en lourds bandeaux sur le front un peu vaste pour un front féminin. Les sourcils d’un dessin superbe, plus foncés que les cheveux ; presque noirs aussi, les cils, de longs cils frangeant des yeux profondément enchâssés et de couleur changeante, dont le feu semble souvent dormir, rentrer en dedans comme s’il ne jaillissait qu’au gré de l’émotion ou de la pensée. Le nez aux ailes nerveuses qui semblent flairer l’espace et palpiter de curiosité n’a rien d’un nez grec ; la bouche est trop largement ouverte sur des dents d’ailleurs éblouissantes. Malgré l’originalité de sa physionomie mobile, Marcelle des Garays serait facilement éclipsée par des beautés qui sont telles pour tout