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faire danser au piano de pauvres filles ou leur lire tout haut quelques fragmens de poésie, Mme des Garays eût répondu :

— Cela ne se fait pas. C’est l’affaire des religieuses de se dévouer à ce monde. Gardons-nous de nous singulariser.

Marcelle restait donc attachée au rivage, rivage aride où, comme elle le disait avec un rire de dépit et de colère, on s’habille, on fait la révérence, et on se marie. Elle se bornait à suivre du regard la barque de son amie Lise, pauvre barque fragile, ballottée par les flots, mais libre, mais hardie, mais utile aux autres, et qui, à l’occasion, pourrait — qu’en savait-on ? — courir d’intéressantes aventures personnelles.

— Tu devrais t’occuper de l’intérieur, insinuait la perspicace Mme Hédouin, s’apercevant qu’il manquait quelque chose à sa nièce. Je suis sûre que ta mère te laisserait carte blanche pour cela, si tu lui en exprimais le désir.

Mais Marcelle se déclarait incompétente, elle détestait mettre en ordre même ses propres affaires et faisait à peine attention aux plats qu’on lui servait. Comment eût-elle tenu convenablement une maison ?

— Tu pourrais avoir aussi plus de soin de ta toilette, chère enfant. En s’y appliquant un peu, une jeune fille réussit, sans grande dépense, à être coquettement mise.

Hélas ! Marcelle, très maladroite l’aiguille à la main, haïssait le chiffonnage.

— Avec ta dot, si minime qu’elle soit, tu te marierais, grâce à nos alliances, aux relations que ta mère a conservées, si tu voulais… Mais tu ne sais pas t’y prendre…

— Manœuvrer habilement, tendre à un mariage sortable, se faire valoir comme une marchandise, savoir s’y prendre, elles n’ont à la bouche que cela, pensait Marcelle avec le désir passionné d’agir tout au rebours de ces formules.

— Non, elle ne sait pas s’y prendre, c’est désolant, soupirait comme un écho Mme des Garays.

Mais voilà qu’une transformation qui devait la déconcerter plus que le reste s’opéra presque du jour au lendemain chez ce garçon manqué. Marcelle avait longtemps promis d’être laide ; à dix-sept ans, la nature démentit avec éclat ce pronostic, les lignes heurtées du visage se régularisèrent, le teint brouillé s’éclaircit, la maigreur s’effaça, Robert s’aperçut pour la première fois qu’elle était ravissante. Toute leur vie, d’année en année, les vacances