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occurrences, des partis pris d’égoïsme effrayans. Peu leur importe ce qu’elles écrasent, ce qu’elles brisent, pourvu que rien ne se dresse entre leur fils et l’avenir qu’elles ont rêvé pour lui. Les rêves, ou plutôt les décrets soigneusement dissimulés de Mme Hédouin, étaient ceux-ci : Robert ne se marierait qu’une fois arrivé au grade de capitaine ; alors, il ferait infailliblement un beau mariage. Tout officier de bonne famille et de bonne mine, entré dans la carrière par la grande porte, a le droit de compter sur une grosse dot, sans faire à l’argent trop de sacrifices. Telle était la conviction de Mme Hédouin. Elle avait, en outre, des idées très arrêtées sur les inconvéniens du mariage entre cousins germains. Enfin elle tenait particulièrement à ce que sa future bru fût d’humeur souple et docile, pliant devant elle, et résignée à lui laisser son fils, ce qui n’arrive guère que dans les mariages de convenance. Les mariages d’amour sont plus absorbans, et, elle n’en pouvait douter, c’était une passion qui commençait à flamber chez Robert. Ce feu de paille, il fallait l’éteindre. La maîtresse femme se mit donc activement et sournoisement à l’œuvre. D’abord elle éveilla l’attention de sa sœur, tout en affectant de traiter avec une légèreté extrême ce qui au fond la préoccupait. Mme des Garays n’était pas de force à lui tenir tête. En réalité, elle n’aurait vu aucun inconvénient à ce que l’idylle, commencée un beau jour d’été, se dénouât par un mariage qui, pour Marcelle n’eût pas été désavantageux, bien au contraire ; mais sa sœur se hâta de lui prouver que leurs deux enfans ne pouvaient se passer raisonnablement cette fantaisie. Ni l’un ni l’autre n’était assez riche.

Bien qu’il n’y parût guère, Robert avait besoin, pour être heureux, de beaucoup, beaucoup d’argent. Sans argent, on fait triste figure dans l’armée. Mme Hédouin dressait un budget sommaire : — En admettant que Marcelle fût ce qu’elle n’est pas, une ménagère experte, comment voulez-vous qu’elle arrive à garder le prestige indispensable ? Ce serait leur malheur à tous les deux que de se laisser aller à la tentation d’un engagement prématuré.

Mme des Garays, intimidée plutôt que persuadée, finit par en convenir. À son fils, la baronne tint un langage différent, mais non moins astucieux : elle fit ressortir le péril d’épouser une femme d’imagination, une de ces femmes que la destinée commune de leur sexe ne peut satisfaire. Elle lui répéta, en les en-