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venimant, toutes les plaintes de Mme des Garays sur les aspirations bizarres de Marcelle. Malheureusement, ces récits malveillans concordaient trop avec certains souvenirs de Robert, à qui la jeune fille avait souvent autrefois confié ses velléités d’indépendance et d’effort personnel. Il affectait alors d’en rire, mais au fond il en était choqué. Mme Hédouin, qui le connaissait bien, touchait chez lui le point vulnérable, lorsqu’elle disait de Marcelle : C’est une émancipée en herbe.

Robert appartenait à un monde où les femmes de cette catégorie sont tournées en ridicule. De plus, la carrière de son choix, dont il portait déjà l’empreinte, lui faisait mettre au premier rang de toutes les vertus l’abnégation, l’ordre, et la discipline. D’après lui, la femme ne pouvait avoir d’autres droits que ceux qui lui sont conférés par la famille, d’autre mission que celle qu’elle exerce à son foyer. Il avait souvent exagéré à dessein ses idées rétrogrades dans les disputes d’autrefois avec la petite Marcelle, disputes dont l’effet immanquable était de pousser celle-ci aux plus violentes contradictions. Lorsque, tout enfant, elle lui exprimait le projet romanesque de gagner sa vie dans l’enseignement ou la plume à la main, il ne tarissait pas en railleries faciles à l’adresse des bas bleus, mais surtout il blâmait sévèrement l’antagonisme sourd qui existait entre Marcelle et sa mère.

— Le devoir filial, répétait-il, passe avant tout.

Sur ce point, il prêchait d’exemple. Si encore Marcelle eût tourmenté sa famille pour la mener dans le monde, si elle avait eu la passion des sports, de la toilette ou de la danse, Robert eût été très indulgent ; mais envier le genre de liberté d’une Lise Gérard ! Entre les deux cousins, une guerre à demi sérieuse avait éclaté de vieille date sur ces divers sujets. Elle dura tant que Marcelle fut laide. En revanche, à partir du jour où, sans savoir pourquoi, il tomba éperdument amoureux d’elle, Robert ne lui vit plus de défauts. Sa mère prenait soin cependant de les souligner. Elle eut même recours aux grands moyens, elle se mit en scène, elle pleura, elle le supplia d’attendre au moins quelques années avant de céder à son entraînement, qui anéantirait toutes les hautes espérances formées pour lui. On peut être brave dans une bataille, déterminé dans les actes de la vie publique, et fondre comme cire sous les prières, les caresses et les larmes d’une mère qu’on adore, dont on ne connaît que les vertus, dont on a compté tous les sacrifices : Robert promit d’attendre. Ce n’était pas, après