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absolument dans les mains de la France, à laquelle il s’était lié par un traité. Cependant, il opposait résistance, et ne paraissait pas vouloir se laisser dépouiller. « M. le duc de Mantoue a déclaré, disait Torcy à Vernon, qu’il vouloit mourir avec les estats qu’il avoit reçus de ses prédécesseurs, et qu’il ne céderoit pas Casal, quand même on lui en donnerait une outre pleine d’or[1]. » La négociation échouait donc, mais il ne paraît pas que le duc de Mantoue ait été poussé bien vigoureusement. C’était une faute, car la cour de Versailles n’était pas seule à comprendre la nécessité de s’attacher solidement le duc de Savoie. La cour de Vienne avait aussi le sentiment de cette nécessité et allait s’y prendre mieux.

Le marquis de Prié, l’ancien ambassadeur de Victor-Amédée auprès de l’empereur Léopold, était revenu à Turin au mois de décembre, après avoir prolongé son séjour à Vienne de deux mois depuis son rappel officiel. Aussitôt arrivé, il avait pris une grande place dans les conseils de Victor-Amédée, supplantant même dans sa confiance Saint-Thomas, qui, par tradition, et aussi peut-être parce qu’il avait été amoureux de la comtesse de Verrue, demeurait fidèle à la France. Prié, suivant l’expression de Phelypeaux, ne cessait de montrer à son maître une porte ouverte du côté de l’Empire. Peut-être, bien que les Archives de Turin n’en portent aucune trace, fit-il usage des moyens de correspondance occulte qu’il s’était réservés avec le comte d’Harrach. Quoi qu’il en soit, ces archives nous apprennent que c’est au mois de février 1702 que la cour de Vienne prit soin d’expédier à Turin un certain comte Salvaï, admirablement choisi pour être l’agent d’une correspondance secrète, car il était à la fois conseiller des finances impériales, et cependant, par sa naissance et ses intérêts personnels, sujet du duc de Savoie. Sa présence à Turin ne pouvait donc éveiller aucun soupçon, et Phelypeaux, mis en éveil cependant sur une trahison possible de Victor-Amédée, ne paraît pas s’en être douté. Par ses instructions, dont copie se trouve aux Archives de Turin, Salvaï était autorisé à dire que Sa Majesté Impériale « tend derechef les bras à son Altesse Royale[2] » et à entrer en négociation. Après quelques délais tenant probablement à la négociation parallèle qu’il poursuivait avec la France, Victor-Amédée demandait tout à la fois le Montferrat et

  1. Archives de Turin. Lettere Ministri Francia, mazzo 134. — Vernon à Victor-Amédée, 8 juin 1702.
  2. Carutti, Storia della diplomazia della corle di Savoia, t. III, p. 328 et suiv.