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dus. Elle crut qu’il s’agissait de la reprise récente de Lysistrata dans un théâtre du boulevard. La conversation serait devenue en effet aristophanesque si quelqu’un n’eût insinué à demi-voix qu’il y avait là une jeune fille, une nouvelle mariée, et une puritaine. Ces messieurs réservèrent donc pour le fumoir la suite de leurs réflexions, et le rôle des femmes en Amérique put être sérieusement exposé. Avec la netteté que donne l’habitude de parler en public du haut d’une estrade ou derrière un bureau, miss Harding fit comprendre que les œuvres d’éducation et d’assistance reposaient le plus souvent aux États-Unis entre les mains des dames ; qu’elles prenaient sur elles une part des devoirs publics dont leurs pères, leurs frères, leurs maris, trop absorbés par les affaires, auraient peine à s’acquitter ; qu’elles se chargeaient de tenir haut et ferme le drapeau de la morale. Ce type de « la jeune fille » était pour tout Américain l’idéal incomparable ; aussi les femmes mariées s’en écartaient-elles le moins possible, parfaitement conscientes d’être au second rang. La jeune fille avait partout la préséance. — Ce qui parut à Marcelle digne de servir d’exemple à l’univers.

Miss Harding ayant ajouté que tout était dédié à cette vierge triomphante, et d’abord les livres, Varades et Jean Salvy échangèrent un sourire involontaire, et Dufresnoy, le sculpteur, qui ne parlait jamais, grommela dans sa barbe grise qu’à cause de ces demoiselles aussi, probablement, l’Amérique ne tolérait que des statues drapées jusqu’au menton.

Laissant tomber ce périlleux sujet du nu dans les arts, la prudente étrangère dit encore que, grâce aux jeunes filles, gardiennes de la conversation, l’entretien ne s’égarait jamais sur des thèmes inconvenans. À quoi le vénérable Faucombe répondit que, dans ce pays-là, le club devait être une soupape de sûreté plus nécessaire que partout ailleurs. Hilarité de M. de Réthel, une hilarité qui ne déconcerta pas miss Harding :

— Oh ! sans doute, au club les hommes parlent d’affaires, et dans les réceptions non moins exclusives qu’elles se donnent entre elles les dames qui, comme eux, ont des clubs, causent de leurs affaires aussi : littérature, philosophie, etc.

Elle énuméra quelques-unes des œuvres sociales dont les Américaines prennent l’initiative, entrant dans le détail avec précision, jusqu’à ce que M. de Réthel eût murmuré à l’oreille de sa voisine : « Rasante, n’est-ce pas ? »