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Marcelle, profondément intéressée, tressaillit d’horreur à cette discordante exclamation que l’aristocratique élégance de celui qui se l’était permise rendait plus vulgaire encore. Un sentiment de pitié lui vint pour la destinée conjugale de la pauvre Odette qui, fort insensible à son propre malheur, pensait exclusivement au pâté de foie gras qu’on lui servait.

Faucombe, à qui ses grands travaux d’économie sociale avaient valu l’estime chaleureusement exprimée de miss Harding, entama, autant par gratitude que par conviction, l’éloge des races anglo-saxonnes, Chevenolles lui donnant la réplique avec empressement, car il venait d’apprendre qu’un extrait de son dernier rapport sur les caractères hiéroglyphiques avait été lu et fort applaudi dans une séance du club de miss Harding à Philadelphie. Mais avec vivacité Jean Salvy prit le parti des races latines, à son avis très supérieures.

— J’ose le dire devant vous, insinua-t-il, en s’adressant à miss Harding, avec un de ses sourires séduisans quoique indéchiffrables. J’ose, parce que vous êtes une femme forte, dédaigneuse comme telle des formes surannées d’une courtoisie qui ne peut s’adresser qu’à la faiblesse.

Avec épouvante, Marcelle crut s’apercevoir que le terrible lorgnon s’était, l’espace d’une seconde, abaissé sur elle.

— Eh bien ! il me serait très facile de vous démontrer que l’esprit anglo-saxon est loin d’avoir la largeur du nôtre, que les Anglo-Saxons sont moins sincères au fond que les Latins et surtout plus durs. Cette dureté même les porte à organiser méthodiquement leurs œuvres philanthropiques si multiples, car ils sont obligés de s’imposer des devoirs, n’étant pas, comme nous autres, emportés tout naturellement par un instinct de bonté. Ils sont hautains dans l’âme, tandis que nous sommes, que nous avons toujours été, les vrais démocrates, si ce nom doit s’appliquer à ceux qui croient le plus à la fraternité humaine. J’ajouterai que dans aucun pays il n’y a plus que dans le nôtre de ressources latentes prêtes à favoriser tous les progrès.

— Alors, dit miss Harding, sans que sa voix ferme trahît la moindre irritation, pourquoi donc acceptez-vous sans regimber et prononcez-vous très souvent contre vous-même cet arrêt de décadence qui semble condamner à une mort plus ou moins prochaine les peuples vieillis ?

— Parce que cette prétendue décadence, qu’on nous envie en