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gager. Longtemps après, repassant dans sa mémoire la série d’incidens qui devaient aboutir pour elle à la plus grave des déterminations, Marcelle ne réussissait pas à distinguer quelle avait été la part de sa volonté ; il lui semblait qu’une sorte de torpeur l’avait prise devant la volonté dominatrice d’un autre, qu’elle avait agi comme en rêve, sans oser se défendre. D’abord deux ou trois rencontres s’étaient rapidement succédé ; c’était aux jours de Mme Helmann ou de sa fille.

M. Salvy d’ordinaire ne faisait pas de visites.

— Il vient pour vous, ma chère, dit en riant du bout des lèvres Mme de Réthel ; il vous attend, il vous guette, il ne se met en frais d’amabilité que pour vous.

Il s’y mettait aussi pour Mme des Garays, à laquelle il marqua tant d’attentions et de courtoisie, qu’elle ne put s’empêcher de répondre par un acquiescement poli lorsqu’il sollicita la permission de se présenter chez elle. Plus tard il convint avec Marcelle que c’était l’ennui mortel de toutes ces démarches cérémonieuses qui lui avait fait précipiter sa demande. S’imposer indéfiniment le supplice d’échanger des banalités avec Mme des Garays et la baronne Hédouin, causer des semaines de suite dans un salon dont la couleur solferino révoltait son esthétique, il en eût été incapable ! Ce qu’il ne disait pas, c’est qu’il avait respiré dans ce salon, d’ailleurs maussade et vieillot, un parfum de bonne compagnie dont il ne lui déplaisait pas que sa femme fût imprégnée. Deux ou trois portraits de magistrats poudrés et de jolies aïeules du même temps s’accrochaient aux murs ; une statuette de Mme des Garays, alors Mlle de Rebec, portant les insignes des chasses de la cour, un petit tricorne sur ses cheveux nattés, évoquait Compiègne et les splendeurs napoléoniennes. Sur un chevalet cette figure équestre, dans le style d’Alfred de Dreux, n’était autre que le colonel des Garays en uniforme chamarré de décorations : alliance qui n’était pas à dédaigner pour les Salvy.

Ceux-ci, de rudes travailleurs, après avoir lentement passé du peuple à la petite bourgeoisie, étaient représentés à la fin par un aristocrate. L’horreur de tout effort, qui existe si souvent chez les descendans de ceux qui ont longtemps peiné, l’éloignait tout à fait des aspirations révolutionnaires. Un bon tyran protecteur des arts, — Médicis, par conséquent, plutôt que Bonaparte, — voilà tout ce qu’il eût demandé. Les idées politiques de Salvy, sans être assurément celles de Mme des Garays et de sa sœur, ne s’en écar-