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taient donc pas d’une façon qui pût les choquer. Mme Hédouin, son alliée de la première heure, le déclarait presque bien pensant ; elle lui trouvait en outre de bonnes manières.

— Et cependant, disait Mme des Garays, il paraît que son père a gagné ce qu’il possède de fortune en vendant des clous.

— Ma chère, répondait la baronne, s’est-on jamais enquis de ce que faisait le père d’un grand homme ? La plupart des généraux du premier Empire ne sortaient pas de la cuisse de Jupiter, que je sache ! D’ailleurs M. Salvy n’a plus de famille.

Mme Hédouin ne manquait aucune occasion de faire devant Marcelle l’éloge de ce nouvel ami. Elle avait de bonnes raisons pour cela. Robert, après un assez long silence, employé sans doute à dévorer les plus pénibles impressions et à lutter contre lui-même, en était venu à prendre le mors aux dents, comme elle disait. Il lui avait écrit :

« Vous ne savez pas, vous ne pouvez pas savoir le mal que m’a fait la lecture de ce roman, ni la colère où il m’a jeté, ni combien j’ai été près de ne pouvoir pardonner à personne. Mais à force d’y revenir, un bouleversement complet s’est produit en moi. Je ne vois plus qu’une chose, c’est qu’elle m’a aimé mille fois plus que je ne l’avais cru ; que mes torts envers elle sont mille fois plus grands que je ne le supposais ; qu’il y a entre nous d’effroyables malentendus et qu’il est temps encore peut-être de les dissiper. Elle a besoin d’être soutenue, dirigée, enlevée à des imaginations folles, et à des influences funestes. Rien ne m’empêchera de remplir ces devoirs-là. J’ai demandé un congé. Bientôt je serai auprès d’elle, je plaiderai moi-même ma cause.

« Préparez-la vous-même à ce retour, si vous avez pitié de moi ! Tout ce que je pourrais lui dire ne vaudra pas un mot de vous. Qu’elle sache bien de quel côté est venu l’obstacle que je franchirai coûte que coûte, je vous le dis à regret, ma mère, si vous ne consentez pas à l’écarter vous-même. »

Mme Hédouin brûla soigneusement cette lettre, dont Marcelle n’eut jamais connaissance, et se mit non seulement à hâter de tous ses vœux, mais encore à favoriser de tout son pouvoir les projets de M. Salvy, qu’elle n’avait pas eu de peine à deviner, car il avait des yeux fort expressifs, et d’ailleurs son assiduité était significative.

Quand elle le connut mieux, Marcelle comprit combien il avait fallu que Salvy fût épris d’elle pour se soumettre à toutes les