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sépare la culture, même très raffinée, d’un esprit de femme, des richesses amassées par le savoir et l’expérience dans un cerveau masculin. Sa voix musicale avait toujours, quand elle osait émettre une opinion personnelle, cet accent interrogateur plein de déférence, qui sollicite l’acquiescement. Il fallait donc lui pardonner d’avoir des idées et de savoir les soutenir à l’occasion. Ce qu’ils connurent de meilleur, ce fut l’intimité charmante des entretiens du soir, au coin du feu, dans une chambre d’hôtel, après les journées passées en compagnie plus que royale avec les primitifs et les maîtres du xve siècle, à Florence, où de Venise ils s’étaient rendus.

Ils voulaient ensuite visiter l’Ombrie pas à pas, s’attarder à Rome. Salvy parlait de rester tout l’hiver en Italie, et Marcelle ne demandait pas mieux. Mais à l’improviste une dépêche les rappela. Mme des Garays, depuis longtemps atteinte d’une maladie de cœur, était morte subitement. Jamais ses rapports avec sa fille ne furent aussi affectueux que durant cette période d’absence qui devait se fondre dans l’absence éternelle. Les inconvéniens d’un contact quotidien s’étaient effacés ; le souci de l’avenir n’existait plus ; la pensée de savoir celle qu’elle appelait « son tourment » définitivement en sûreté, appuyée comme il convient sur le bras d’un protecteur légal et suivant à ses côtés la voie commune, procurait à Mme des Garays un repos délicieux. Dans ce repos elle s’était endormie, laissant à Marcelle le remords douloureux de ne l’avoir pas assez aimée.

Th. Bentzon.
(La troisième partie au prochain numéro.)