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vant, comme toujours, comme elles vont de toute éternité dans le pays qui a échappé le plus, jusqu’ici, à ce principe de l’évolution si actif dans le reste du monde.

On aurait pourtant pu se rappeler que l’espèce de coup d’État accompli par l’impératrice n’avait pas eu seulement pour cause l’ambition personnelle d’une femme énergique et violente, mais encore son horreur pour les innovations européennes. Le pauvre empereur était soupçonné, à tort ou à raison, de se montrer curieux de ces innovations, faible à leur égard, peut-être bienveillant, et c’est pour cela qu’il a été plongé dans une ombre d’où probablement il n’émergera plus. Alors, les plus vieilles influences, les plus routinières, les plus rétrogrades, ont prévalu en Chine, et il était facile de deviner qu’elles n’y resteraient pas toujours inertes et passives. Ce qui devait arriver est arrivé. Les derniers événemens sont connus : nous ne les raconterons pas en détail. On sait que la Chine est le pays par excellence des sociétés secrètes. Il y en a un très grand nombre, mais elles paraissent toutes animées d’un même sentiment, qui est le mépris et la haine de l’étranger. Depuis quelques années, ces sociétés ont été mises à une rude épreuve. Elles ont vu la Chine s’ouvrir aux entreprises des « diables d’Occident. » Des voies ferrées ont été construites et ouvertes ; d’autres ont été l’objet de concessions accordées à des capitalistes européens ou américains. Des poteaux portant des fils mystérieux et inquiétans ont été plantés dans la campagne : grâce à eux on savait au jour le jour en Europe ce qui se passait jusqu’au fond des provinces. De pareilles nouveautés devaient soulever des tempêtes sous les crânes chinois. Jusqu’à présent le flot de la civilisation occidentale s’était arrêté sur les côtes, et tout au plus, comme une marée puissante, il avait remonté le cours des grands fleuves : désormais c’est le continent tout entier qui en est menacé, et il n’est pas un canton si éloigné dans les terres qu’il ne risque d’en être un jour submergé. Tant de vieilles habitudes, de superstitions puériles mais féroces, et aussi d’intérêts froissés devaient, un jour ou l’autre, amener une explosion. La Société des « Grands Couteaux » s’est émue. Cette société-mère en comprend, dit-on, plusieurs autres, dont l’une porte le nom, moins rébarbatif en apparence, mais non moins suspect en réalité, de Société des « Poings fermés de l’Équitable Harmonie, » désinence qui a un faux air de franc-maçonnerie. Les Européens, trouvant cette dénomination trop longue, l’ont résumée dans celle de « Boxeurs » : elle indique que les adeptes ne ferment pas le poing pour rien. Il faut reporter aux Boxeurs l’origine du soulèvement