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éclatante, en remplaçant aux élections de mai la majorité radicale socialiste par une majorité nationaliste, à la veille des élections, un conseiller sortant, M. Maurice Charnay, publiait le programme socialiste le plus alléchant pour les électeurs parisiens. Il rappelait que, sur les quatre-vingts membres qui siégeaient à l’Hôtel de Ville, trente socialistes faisaient la loi, et s’inspiraient des principes du collectivisme communal. Il s’agissait désormais de développer ces principes, de donner non pas seulement l’eau gratuite, mais le pain gratuit, le vêtement gratuit « et le reste. » Ce « reste » fait rêver. En matière de services publics, M. Charnay répudiait l’hérésie tempérée de M. Paul Brousse ; la commune ne doit pas se substituer aux compagnies pour empocher les bénéfices. Les services publics doivent fonctionner à prix de revient. La commune trouvera ses ressources ailleurs, dans la poche des riches, par l’impôt progressif. Si l’on ne peut supprimer l’octroi, on dégrèvera les boissons hygiéniques, par un impôt sur la propriété bâtie. Dans le budget des dépenses obligatoires, sur 322 704 000 francs, 113 000 000 vont à la dette municipale. Or l’emprunt procède de l’ordre anti-social : c’est un placement pour les rentiers ; l’amortissement est payé par les pauvres. Plus d’emprunt, mais obligation pour les propriétaires de Paris de restituer à la ville les trois ou quatre milliards dont ils se sont enrichis, par suite de la plus-value foncière.

Les électeurs parisiens ne se sont pas laissé prendre à cette amorce, ni à d’autres du même genre. Ils ont envoyé siéger à l’Hôtel de Ville quarante nationalistes et dix ou douze libéraux de gauche, contre une vingtaine de socialistes, et on a vu par là combien sont peu solides et faciles à retourner les prétendus groupes socialistes.

Si l’on cherche les causes de cette transformation, on y trouvera non pas seulement une réponse à la politique provocante que M. Waldeck-Rousseau a inaugurée, sous prétexte de défense républicaine ; mais aussi une réaction contre l’ancien conseil, ses démonstrations antifrançaises, ses couronnes distribuées au livre de M. Urbain Gohier, cela au moment même où l’esprit patriotique s’exalte chez tous les peuples et se confond avec le sentiment de l’existence nationale menacée ; — le mécontentement et l’irritation suscités par les scandales financiers qui ont été révélés ; — le désir de s’émanciper des tyrannies de quartier et de coterie, de la dictature des journaux, des conseillers municipaux