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D’ailleurs, la vérité, sortant d’une bouche qui l’avait si souvent altérée, n’aurait-elle pas pris un air de mensonge ?


VIII


Martial se prépara donc à retourner en Espagne. Il n’avait pas à craindre, comme Stace, qui lui aussi, vers la fin de sa vie, voulut revenir dans son pays natal, qu’au moment du départ, sa femme refusât de quitter Rome ; il n’était pas marié. Mais ce qui pouvait l’empêcher de partir, c’est que le voyage était long et coûteux, et qu’il n’avait pas d’argent pour se mettre en route. Évidemment il n’a jamais été un homme bien ordonné. Son ami Quintilien, qui était un sage, lui reprochait « de se hâter trop de vivre ; » à quoi Martial répondait gaiement qu’on ne se hâte jamais assez, quand on n’a pas l’intention de laisser une fortune à ses héritiers, et que, pour lui seul, il aurait toujours de quoi se suffire. Il ne faisait donc pas d’économies et se trouva fort embarrassé quand survint cette grosse dépense qu’il n’avait pas prévue. Heureusement, un généreux protecteur, Pline le Jeune, vint à son aide et lui donna ce qui lui manquait. C’était une manière de lui payer les éloges qu’il en avait reçus. Pline ne le dissimule pas et il blâme ouvertement ceux qui ne font pas comme lui. « C’est, dit-il, depuis qu’on a cessé de mériter la louange, qu’on a perdu l’habitude d’en être reconnaissant. »

De retour à Bilbilis, Martial y fut, pendant les premiers temps, tout à fait heureux. Sa joie déborde dans une petite pièce qu’il adresse à Juvénal. Il éprouve un matin plaisir à se représenter son ami, le matin, avec sa lourde toge, s’essoufflant à courir les rues de Rome, pour arriver chez le patron avant qu’il ne soit sorti, tandis que lui, dans sa petite ville, jouit d’un sommeil profond, et afin de se dédommager de trente-quatre ans de veilles, reste couché jusqu’à la troisième heure du jour (neuf heures du matin). Quand enfin il se lève, il n’est pas forcé de se couvrir de la toge ; il prend près de son lit, sur sa chaise boiteuse, le premier vêtement qu’il y trouve et le jette sur son dos, puis il s’approche du foyer, où brûlent, non pas, comme à Rome, quelques bûches minces et rares, mais des troncs de chêne pris à la forêt voisine, et qu’entourent, comme une couronne, les marmites de la fermière ; il s’y réchauffe jusqu’au moment où on vient le