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des archéologues : sa véritable valeur lui vient, comme aux Martyrs, du souffle religieux dont il est animé.

Mais, si les lecteurs français vont enfin pouvoir se faire une idée du talent de M. Sienkiewicz, je ne crois pas que Quo vadis ? suffise à leur montrer ce talent tout entier. Ou plutôt je crains qu’Une leur en donne, au total, une idée assez inexacte : car, dans l’œuvre de l’écrivain polonais, ce roman chrétien n’est qu’une exception, et l’ « universalité » même de son sujet a empêché l’auteur d’y déployer bien à l’aise quelques-unes de ses qualités les plus personnelles. Ce n’est point Quo vadis ? qui a valu à M. Sienkiewicz l’admiration, le respect, la tendresse vraiment touchante que lui ont voués ses compatriotes : ce sont trois grands romans nationaux, des romans d’un caractère si local que je doute que le public français se décide jamais à en aborder la lecture. Par le Fer et le Feu, le Déluge, Messire Wolodyowski : tels sont les titres de ces romans, qui forment les trois parties d’une trilogie, tandis que chacun d’eux, à lui seul, dépasse en étendue trois de nos romans parisiens. Ils sont longs, massifs, tout remplis de détails qu’un lecteur étranger ne saurait apprécier ; mais c’est eux que le lecteur polonais tient pour les chefs-d’œuvre de M. Sienkiewicz. Et celui-ci se rend compte lui-même, sans doute, de leur supériorité sur le reste de son œuvre, puisque, après s’être successivement essayé au roman familier et au roman philosophique, et après avoir obtenu avec Quo vadis ? le triomphe que l’on sait, voici qu’il revient aux sujets et au genre de sa trilogie. Les Chevaliers de la Croix, son dernier roman, forment pour ainsi dire un prologue à Par le Fer et le Feu ; et jamais encore, peut-être, M. Sienkiewicz n’a rien produit d’aussi profondément national, ni d’aussi pathétique, ni d’aussi vivant ; et jamais les traits distinctifs de son tempérament littéraire ne se sont exprimés avec autant de force et de variété.

Les Chevaliers de la Croix sont cependant, de même que Quo vadis ? un roman historique. Mais l’histoire, qui dans Quo vadis ? ne fournissait que le décor du récit, en fournit cette fois le principal, l’unique sujet. Les péripéties diverses de la lutte des Polonais contre l’Ordre Teutonique dans la seconde moitié du XIVe siècle, les escarmouches, les trêves, les sanglantes batailles, voilà ce que raconte à ses compatriotes M. Sienkiewicz, avec une exactitude si constante et si scrupuleuse qu’il s’arrête à décrire jusqu’aux moindres particularités des armures, des arcs, des harnais ; qu’il reconstitue en grand détail la généalogie des chefs, polonais, lithuaniens, mazoviens, tchèques et allemands ;