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pour tout changer, d’inscrire : République universelle : liberté, égalité, fraternité ? De même, dans l’ordre intellectuel, les gazetiers d’alors n’auront-ils que des complimens pour ceux qui ne sont pas de leur opinion ? les Libre Parole ou les Aurore de ces siècles bénis seront-elles pleines de madrigaux à l’adresse des contradicteurs ? L’humanité a vu bien des utopies : nous ne croyons pas qu’elle en ait vu de plus forte, et le mystère de la transsubstantiation n’est qu’un jeu au prix du mystère de la communion collectiviste. Si encore vous n’aviez que les Français à sanctifier ! Mais il faudra persuader tous les Européens, tous les Américains, les Asiatiques même et les Africains de renoncer à l’économie actuelle, d’établir le collectivisme, de ne plus se faire concurrence et de ne plus nous faire concurrence. Embrassement général ! Car il est bien évident qu’un pays ne peut se faire collectiviste avec des voisins qui ne le sont pas, à moins de s’enfermer dans une muraille de Chine. C’est donc bien la perfection universelle et le règne universel des bonnes volontés que le nouvel Évangile croit pouvoir réaliser à coups de décrets sur la terre, par l’abolition de la morale même et du droit.

Ou plutôt, il n’y aura pas même besoin de bonnes volontés : les intérêts s’harmoniseront tout seuls. Selon M. G. Deville, en régime socialiste, « les conditions matérielles à réaliser pour atteindre le bien-être individuel seront aussi les conditions du bien-être social. » Il y aura, en d’autres termes, concordance entre l’intérêt personnel et l’intérêt universel. — Mais, de deux choses l’une : ou cette concordance ne sera encore vraie qu’en moyenne et d’une façon générale ; alors, les antagonismes particuliers n’auront pas disparu et il restera possible de chercher son bien propre aux dépens du bien de tous. Ou la concordance sera une complète identité ; mais alors vous retombez dans les rêves paradisiaques qui rendraient la « morale » absolument inutile. Dans cette seconde hypothèse, nous n’aurions pas même de choix à faire ni d’initiative à prendre : notre bien serait toujours un avec le bien universel ; toute tendance centripète coïnciderait ipso facto avec la tendance centrifuge. Cette astronomie sociale est fantastique, et nous doutons que le fiat collectiviste opère le miracle de la réaliser.

On a raison, assurément, de vouloir « l’affranchissement des travailleurs ; » mais, dès aujourd’hui, pour les affranchir, il y aurait une chose bien plus simple que de bouleverser la société de