Page:Revue des Deux Mondes - 1900 - tome 160.djvu/637

La bibliothèque libre.
Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

dans sa femme Gargamelle ? le cardinal d’Amboise dans Panurge, ou, dans frère Jean des Entommeures, le cardinal de Lorraine ? ou encore dans la bataille des bergers de Grandgousier contre les fouaciers de Lerné la représentation ou la peinture de ces guerres de religion qui, à vrai dire, ne commenceront en France qu’environ dix ou douze ans après la mort de Rabelais ? Ce sont les petits auteurs qui s’attardent et qui se complaisent à ce jeu puéril de l’allusion contemporaine : un grand écrivain ne s’y soumet pas plus qu’un grand poète à la contrainte des bouts-rimés. La satire de Rabelais est une satire générale. C’est aussi une satire qui n’a dans la réalité que son point de départ, et rien de plus. Particulièrement locale, personnelle et « nominative, » elle ne serait pas ce qu’elle est, et lui-même, l’auteur de Gargantua, ne serait pas Rabelais. Cependant, et de nos jours même, beaucoup de ses panégyristes ont cru par là le grandir. Ce Rabelais n’est encore qu’un Rabelais de légende. Les autres n’en faisaient qu’un ivrogne ou un bouffon de génie. Mais ceux-ci le réduisent à la condition d’un amuseur des passions de son temps, et, sous prétexte d’éclaircir ce que l’œuvre et l’homme auront toujours d’un peu énigmatique, ils l’obscurcissent ou ils l’embrouillent eux-mêmes du nombre, du pédantisme, ou de la subtilité des interprétations qu’ils mêlent à l’extravagance de quelques-unes des inventions du poète.

Que dirons-nous après cela de ceux qui voient, — ou plutôt non, car ils ne les voient pas, — mais qui soupçonnent dans ces inventions mêmes des abîmes de profondeur ?


Il berce Adam pour qu’il s’endorme,


a dit un grand poète,


Et son éclat de rire énorme
Est un des gouffres de l’esprit.

Rabelais est-il vraiment ce philosophe, ou, comme on dit aujourd’hui ce « penseur ? » a-t-il surtout prétendu l’être ? et quand, — en quel endroit du Prologue de son Gargantua — s’est-il moqué de nous, et de lui-même ? Est-ce au début, ou à la fin ? à la fin, quand il écrit : « Croyez-vous en votre foi qu’oncques Homère, écrivant Iliade et Odyssée, pensât es allégories lesquelles de lui ont calfreté Plutarque, Heraclides Ponticq, Eustathe,