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qui lui avait fait gâcher son existence. Il n’aurait eu alors qu’à prendre la main de Marcelle pour la garder toujours… Et c’en était fait, par la faute de cette bonne mère qui trônait là-bas dans le meilleur fauteuil, un coussin sous ses pieds, un sourire d’accueil mondain sur ses lèvres minces, drapée dans du vieux satin noir et de non moins vieilles dentelles. La baronne comptait parmi les fâcheux que Salvy tolérait chez lui le samedi soir en son absence, à la condition d’en être délivré le reste du temps ; mais cette exclusion ne s’appliquait pas à Robert. Tout au contraire, le maître de céans l’invitait volontiers, peut-être parce que, lui aussi, avait son genre de curiosité ; mais l’œil le plus perçant n’aurait pu rien surprendre entre Marcelle et son cousin :

— Non, se dit très vite Salvy, elle n’est plus assez jolie et elle est trop peu coquette pour que, même un naïf de cette sorte (il est de l’espèce pourtant des bons chiens fidèles) puisse souhaiter de revenir avec elle aux premières amours. Je gagerais que ce qui l’amène ici, c’est la blonde Nicole. Il n’a pas mauvais goût !

La même pensée était venue à sa femme et peut-être à Nicole elle-même. En réalité, Robert recherchait beaucoup Nicole, personne ne sachant mieux qu’elle parler de sa grande amie, la faire valoir et la plaindre.

XIII

Avec cette régularité presque automatique qui résulte d’une habitude quotidienne, Mme Salvy écrivait chaque jour jusqu’à quatre heures, enfermée dans un réduit dont l’accès était défendu aux plus intimes. Elle tressaillit lorsque la porte s’ouvrit, comme elle ne le faisait jamais, pour livrer passage à une servante effarée :

— Que Madame me pardonne, c’est une dame qui ne veut pas s’en aller.

— Dites que je ne reçois pas.

— Je le lui ai dit et redit, mais elle prétend que Madame la recevra tout de même, qu’elle vient de loin, du bout du monde et qu’elle veut parler à Madame toute seule.

— Vous connaissez cette personne ?

— Je ne l’ai jamais vue.

— Demandez-lui son nom.