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les habillemens de gala de la haute société depuis la Renaissance jusqu’à la Révolution, nous les trouverons de valeur à peu près analogue pour les femmes de qualité et pour les gentilshommes de cour, c’est-à-dire variant entre 1 000 et 1 500 francs. Mille francs seront payés, au XVIe siècle, aussi bien pour un « corset » d’homme, en velours, avec bordures et franges d’or, que pour une robe de femme en taffetas de Gênes avec cotte de satin bleu. Sous Louis XIV, les toilettes de « présentation, » en satin brodé ou en peluche couleur de feu, que Mme de Maintenon offre à sa belle-sœur d’Aubigné, valent environ 1 200 francs ; et c’est aussi 1 200 francs que paie le duc de Nemours pour ses habits complets. Encore faut-il ne « prendre du galon » qu’avec discrétion ; car les galons d’argent qui côtoient le bord du vêtement, en sillonnent le dos, en encadrent les poches ou les revers, peuvent être, à eux seuls, tarifés jusqu’à mille francs. De ces atours somptueux, les riches d’autrefois n’en avaient pas sans doute un grand nombre ; leur budget ne l’eût pas permis : l’entretien annuel d’une fille de France, sœur de Louis XIII, figurait pour 40 000 francs d’aujourd’hui dans les comptes de la maison royale ; mais une très grande dame comme la vicomtesse de Rohan ne disposait, pour sa toilette et celle de sa fille, au siècle précédent, que d’une pension de 11 000 francs.

Les modes étaient d’ailleurs très changeantes, presque autant que de nos jours. À distance, l’œil ne perçoit que faiblement ces mutations ; ce qui nous fait à peine l’effet d’une nuance dans l’aspect d’un surcot ou d’une tunique, d’un pourpoint ou d’un justaucorps, constituait une révolution pour les intéressés. Même l’on peut dire que, depuis quatre-vingts ans, la mode, pour les hommes, a varié moins que jadis : il y a beaucoup plus de dissemblance entre un contemporain de Charles VII et un contemporain de Louis XII, ou entre le sujet de Henri IV et celui de Louis XIV, qu’il n’y en a entre deux bourgeois de 1825 et de 1900. Le citoyen du XIXe siècle ne connaît d’autre magnificence, d’autre recherche d’étiquette, que l’uniforme habit noir. Il a fallu, pour en venir là, que les armures tombassent pièce à pièce et les broderies fleur à fleur : « C’est, disait un poète, la raison humaine qui a perdu toutes ses illusions, et qui en porte elle-même le deuil afin qu’on la console. »

D’illusions, les dames n’en ont perdu aucune ; elles n’ont pas besoin d’être consolées. Pendant que s’accomplissait, chez les